En
guise d’introduction...
Vous
ne savez pas toujours à qui vous avez affaire lorsque vous
participez à des activités comme Bruxelles babel-le ou Pirouésie.
Je vais donc lever un coin du voile et je laisserai le soin à mes
comparses de faire de même durant la semaine.
En
ce que me concerne, j’ai comme un doute et vous demande
solennellement votre collaboration pour le lever.
Voici
ce dont il s’agit.
L’émotion
m’étreint à quelques jours du trente-huitième anniversaire de la
mort de Raymond Queneau.
Mon
père, ma mère et ma sœur ont évacué de la province de Liège en
mai 1940 vers la France. Voilà
pourquoi ma famille (dont je ne faisais pas encore partie) s’est
retrouvée dans le Massif central, abandonnée littéralement à
elle-même. Les maigres archives familiales en parlent à peine, mais
à mots couverts. Cependant, mon père évoqua ultérieurement, à
quelques occasions, Saint-Léonard de Loblat comme petite ville où
ils furent accueillis chaleureusement par les habitants. Quelle ne
fut donc pas ma surprise, l’autre soir, en feuilletant la
biographie de Raymond Queneau, d’apprendre qu’à la même époque,
celui-ci était sous l’uniforme et cantonné à cet endroit.
Regardant le journal télévisé belge le lendemain soir, mon
attention fut attirée par la démarche de Delphine, fille putative
de notre ancien roi Albert Ier, qui intentait un procès afin d’être
reconnue comme sa fille légitime et que cette reconnaissance
pourrait même avoir lieu à titre posthume. Une illumination secrète
s’installa en moi au cours des nuits blanches qui suivirent et
depuis, une question taraude mon cœur et mon esprit : « Suis-je
bien le fils de mon père ? » ou encore « Et si ma
mère avait (par inadvertance bien entendu) fauté avec quelqu’un
dans cette région, Raymond Queneau en l’occurrence ? ».
Plusieurs
indices confortaient cette hypothèse : je me suis toujours
intéressé à l’Oulipo alors que rien ne m’y prédisposait ;
près de 54 % des lettres de nos patronymes sont communs ;
je suis né le 19 janvier 1941 soit neuf mois après une conception
potentielle (si j’ose dire) en mai 1940.
Un
autre argument me vient à l’instant à l’esprit : je suis
né dans la clandestinité. En effet, le matin de ma naissance, ma
mère, bien que toujours réglée, ignorait qu’elle allait
accoucher. Elle avait donc développé, par culpabilité, un déni de
grossesse, espérant ainsi cacher à mon père, jusqu’au bout, le
fruit de cette rencontre fortuite, mais quand même adultérine.
De
plus, et pour moi, c’est une preuve irréfutable, j’ai découvert
récemment un journal intime que ma mère a tenu en cette période
troublée et où elle raconte innocemment avoir été initiée à
l’équitation par un caporal durant leur évacuation. « Il
m’emmena un jour sur son coursier, raconte-t-elle,
durant une de ses trop rares permissions, et je fus incommodée par
les secousses du galop. Il ralentit très galamment, mais ne put
empêcher un léger balancement permanent durant le reste de notre
promenade. J’avais déjà remarqué qu’il adorait s’amuser avec
les mots. Ce fut encore le cas : " Ne t’inquiète pas,
dit-il,
on
appelle ça la houle hippo
".
Pour ne pas perdre la face, je me mis à rire, mais manifestement, je
n’avais pas saisi le mot d’esprit. Il s’en aperçut sans peine
et à mes questions, il répondit : Ce n’est rien, tu
comprendras plus tard... ».
Est-ce
cette houle hippo qui a fait perdre toute retenue et toute décence à
ma mère et dont Raymond a profité sans état d’âme ? Je ne
sais, mais relisant les propos de Queneau, je pris conscience que
contrairement à ce que tous les exégètes de l’œuvre du grand
homme avaient pu raconter, ce n’est pas l’Ouvroir de littérature
potentielle qui a donné naissance à l’Oulipo, mais bien le
contraire : il a imaginé l’Oulipo à partir de cette houle
hippo, moment magique qu’il avait passé avec ma mère et dont je
suis le fruit inattendu, mais superbe, j’ose le dire...
Je
compte donc sur vous pour recevoir tous les témoignages que vous
pourriez rassembler à ce propos. Je compte particulièrement sur
J.M. Pochet pour qu’il fouille à nouveau dans les deux tonnes
d’archives qu’il possède de mon père putatif à la recherche de
tout indice qui pourrait m’aider et sur Olivier Salon pour qu’il
fasse de même avec les souvenirs ou les sous-entendus de François
Le Lionnais. Les enjeux sont colossaux, en effet, je pourrais
prétendre à un héritage fabuleux, jouir des droits d’auteur
accumulés au fil des ans de ses vingt romans, de ses quinze recueils
de poésie, de ses disques et films, ce qui permettrait, à vue de
nez, de subventionner au moins une bonne cinquantaine de Pirouésie
et autant de Bruxelles babel-le futurs.
Je
compte sur vous !
Henry
Landroit
Raymond
Queneau
Henry
Landroit
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