Ode à la ligne 88
Samedi 1er novembre 2014
avec O. Salon
Bruxelles,
1er novembre 2014.
À la
sortie du métro, le bleu du ciel nous surprend. Depuis dix jours, la
pluie ne nettoie plus la ville.
Les
trottoirs exhalent une respiration âcre, les murs poussiéreux et
sombres une odeur fétide, mélange réussi d’alcool et d’urine.
Ça doit être ça, le monde infernal que nous promettent les
morts-vivants, les squelettes disloqués qui ont hanté Bruxelles jusqu’à
l’aube.
Premier
novembre : les bus sont rares. Les voyageurs aussi.
Au
terminus du bus 88 – qui en est aussi la tête ! –
trois personnes seulement attendent, sans impatience. Un homme et une
femme, jeunes encore, la trentaine, et un petit garçon, sept ou huit
ans. Je les trouve beaux. Ils ont l’air heureux. Heureux d’être
ensemble. Heureux de faire ce voyage avec le bus 88 qui les
emmènera, comme nous, vers le nord.
L’homme me sourit, je lui
rends son sourire et en profite pour lui demander s’il attend
depuis longtemps. Un premier novembre, les bus sont rares… « Dix
minutes, me répond-il, toujours souriant, il reste donc dix
minutes ».
Notre
guide, Jean-Michel, que chaque lieu, chaque situation, chaque
évènement inspirent, profite de cette attente pour nous raconter
par le menu l’histoire vertigineuse de son bus. Celui que, à son
corps défendant, Pro Vélo lui mit entre les mains puisqu’il -
Jean-Michel - était, par le plus grand des hasards détenteur du
permis ad hoc. À son actif - le bus - 1,5 million de km. À chaque
plein, la bagatelle de 200 litres de carburant.
Les anecdotes se
bousculent dans la bouche de notre guide : les vélos volés, la
panne sèche sans pompe à l’horizon, un chauffeur – lui ! –
surpris d’être au volant de cet engin dans les rues de Bruxelles,
elles aussi très surprises par ce bus qui confondait les trottoirs
et l’asphalte.
Le
souvenir du bus de Jean-Michel remplit l’attente du nôtre qui
finit par arriver. 88 : pas d’hésitation, nous y montons,
convaincus de partir vers un périple hors du commun. Nous ne sommes
pas des voyageurs ordinaires. Il règne dans notre groupe un parfum
d’aventure, l’attente d’un suspens, une curiosité mal définie.
Nous allons vers le Nord. Le Nord, c’est vague. Est-ce loin, est-ce
bien, est-ce beau ? Qu’allons-nous y faire, y voir ?
Première
échappée : un canal. Celui-ci mène à la mer. Longue
respiration. En fermant les yeux, on la hume, on entend les mouettes.
D’ailleurs, elles sont bien là, les mouettes des villes, qui
survolent les péniches amarrées au port de Bruxelles.
Il
suffit de passer le pont, à pied, en bus, à vélo, et c’est tout
de suite l’aventure. Pouchkine, Magritte et sa bande, Fatima,
Bernadette… Melting pot réussi de romantisme, exotisme,
surréalisme et mysticisme.
Dans le ciel toujours bleu, un vrai
miracle !, une vierge sensuelle, lèvres parfaites, sourire
engageant. L’un d’entre nous, dans un transport subit, tente une
approche de cette vierge au regard prometteur. Ça sent l’amour, la
perdition, l’au-delà. Olivier, lorsqu’il nous rejoint, porte sur
son visage, l’empreinte d’une grâce ineffable.
Loulou, Georgette et René attendent
Marcel.
Ils
sont dans la cuisine.
Georgette
fume une bonne cigarette, après avoir fait la vaisselle.
René
boit son café dans le jardin, en écoutant ses perruches.
Loulou
est à ses pieds et le regarde.
René,
par la fenêtre de la cuisine:
_
Georgette, le bus est en retard ou quoi ?
_
Mais, René, on est samedi ; tu sais qu’il y a marché, place
Bockstael,
quand
même ? Et que Marcel va certainement y faire un tour, comme
d’habitude, du côté des parties des jambes en l’air !
Surtout qu’aujourd’hui le ciel est bleu, sans le moindre de tes
nuages.
_
Tu as raison, Georgette. Et Louis ? Il vient aujourd’hui ?
_
Mais oui, René.....Il boit sa bière habituelle à la "Tentation",
comme chaque samedi, il passe mettre une bougie à la grotte, et il
arrive. Tu vieillis, René. Hein, loulou, qu’il vieillit, papa ?
Depuis
qu’il est le roi de New York, il commence à travailler du
chapeau...
Allez,
je vais refaire du café.
Tu
as rentré la poubelle, René ?
Mar
Biks
Ode
à la ligne Septante Dix-Huit
Acteurs
d’un film d’horaires
tous en
Senne
promo
Septante Dix-Huit
direction
le plateau.
Portes,
caoutchouc collant, applaudissent bruyamment.
Laeken,
loin du Palais.
Chair
rose sur les abribus et les étals.
Laquelle
se vend le mieux ?
Canal de
Willebroek, direction les pavés.
Tour et
Taxis aux platanes déchaînés,
luttant
pour l’autonomie d’écorce.
Cahin-cahot,
les acteurs prennent note.
Au vol
dans un bus, rois de la cambriole.
Entrepôts
et gratte-ciel
Entre
ciel et gratte peau
Ville,
superposition de nombreuses straten.
Woeste
s’annonce, les acteurs descendent.
Aucun
public, aucun autographe.
Seule,
la tondeuse des rails, au bout d’un pantographe.
Rue
d’Esseghem, le lieu du sanctuaire.
Là, on
foule l’art au pied.
Cramique
à l’e accentué.
Le
chapeau se découpe, face au réverbère.
C’est
du content-borain, du dessin de Lessines.
Sur la
porte, ‘Sonnez deux fois’.
En
petit, en six langues et même en chinois.
Mais…
sonner deux fois, c’est une fois de plus qu’à Bruxelles, une
fois !
Je vous
salue Magritte,
peintre
de phrases,
les
surréalistes sont avec vous.
Ils ne
procréent pas,
se
lavent les dents dans un lavabo étroit,
vont
promener leurs chiens,
se
laissent mettre six pieds sous terre dans des boîtes normales,
laissant
le soin à leurs héritiers (si peu spirituels) de plumer le
touriste.
Trois
jeunes asiatiques, les pieds dans du plastique, craignent la
contagion.
Ici
gisent travaux imbéciles et palimpsestes mercantiles.
Les
gestionnaires de la maison s’érigent en faussaires.
Leurs
échelles de voleurs n’ont plus la même couleur.
De
Magritte à ma grotte, il n’y a qu’un pas.
Une
voyelle aussi, pas de quoi baver, Maria.
Bougies
blanches, distributeur faux-monnayeur
Immaculée
contraception, priez couvert.
Le sac
et le ressac
Retour
vers De Brouckère
Trajet
polyglotte, dialogues éphémères
Chacun
pour soi. L’acteur du samedi transpire en commun.
Texte
écrit sous la contrainte d’Olivier Salon, le 1er novembre 2014.
Poème
ample en vers libres, sur le modèle des Poèmes de métro de Jacques
Jouet,
de
l’Ode à la ligne 29 des autobus parisiens et d’autres
créations du même genre.
Michel
Charlier
Bus 88
vide, vite rempli, arrêt De Brouckère
Bus
doux, lignes droites, avenues larges, droites
Avenues
vides, de l’autre côté de la vie.
Bâtiments
grattant le ciel
Bâtiments
bétonnés, élancés
Bâtiments
pâles, caparaçonnés de verre, centre des affaires du nouveau
monde, du monde qui s’isole de la vie, du monde sans vie.
Monde
sans vie qui grouille, monde transparent de mégalopole opaque.
Horizon
du nord brisé, aseptisé, proprement.
Où
sont les gens ?
Canal
canalisé
Coulée
grise depuis toujours obstinée.
Canal
de vie calme, pas bouché
Canal
d’eau qui bouge, qui vit, tranquillement,
Reflétant
les regards absents des bâtiments.
Avenue
du Port, pavés sacrifiés, futur asphalté.
Anthropots-lofts
verrouillés
Grilles,
sécurité, propriété,
Peur
des passants qui passent.
Où
sont les passants ?
Grilles,
sécurité, propriétés verrouillées
Les
Blancs de là-bas ont peur
Peur
des passants passant peu à la nuit tombée.
Désert
des villes anxiogènes à la nuit tombée
Passants
pressant le pas entre les grilles.
Townships
surpeuplées
Grilles
de cartons pieds dans la boue
Minibus
déambulant dans les ruelles de terre
Cherchant
le client
Minibus
bondé
Township
noire
Township
métisse
Ville
blanche
Ordre
établi
Les
passants marchent où ils doivent.
Bus 88
fluide, ralenti place Bockstael.
Jour
de marché, la foule, ça bouge, enfin…
Le
marché du samedi coûte que coûte,
Même
un jour de Toussaint.
Des
gens des passants des chalands, vivants…
Des
maisons vivantes, de bric ou de broc, mais vivantes.
Bus
88, arrêt Woeste, à Jette
Ça
en jette le tram tondeuse à gazon des rails verdurisés qui barre la
rue Léopold I…
Avant,
c’était le tram de M. et Mme Magritte, ceux qui habitaient
rue Esseghem, au 135 exactement.
Chez
eux, c’est tout simple.
Intime,
douillet, désuet, bien rangé…
Témoignages
éparpillés
Œuvres
palimpsestes
Pipe
fumante sortant d’un mur de briques, prémonition de la future
politique abstentionniste ? Humour… ?
Provocations
à l’imbécile, à l’enculeur, à l’emmerdeur. Humour… ?
Va
savoir…
Et
aussi, sur un tapis : « Si ta pensée se pose au bord du
rêve, souviens-toi. »
Souviens-toi
et marche, passant, jusqu’à la rue Léopold I, au 296 exactement,
jusqu’à la Grotte Notre-Dame-de-Lourdes, juste avant l’arrêt
Loyauté du bus 88.
Sous
le morceau de grotte rapporté des Pyrénées au début du siècle
dernier, des traces de pèlerins dévots, même pas rangées, même
pas ordonnées par genre, par taille, par époque, par espèce ou,
simplement, par origine. Le regard se perd complètement au milieu de
ce brol.
Impossible
d’opérer une synthèse minimale au milieu des roses en tissu,
jaunes, blanches, poussiéreuses, poussant au milieu de photos en
noir et blanc de couples sinistres, de célibataires mortifiés, d’un
tronc rouillé fermé hermétiquement, de bougies ayant dégouliné
partout, mais pas sur une carte de visite laissée là, à tout
hasard, par un antiquaire de Taormina.
Au
fond, deux mots « Ave Maria », arrondis dans un néon
bleu digne de la vitrine d’un bazar chinois de la chaussée de
Louvain, de la rue du Brabant, de la rue des Côteaux, d’ici et
d’ailleurs, là où se côtoient statues en plastique de la vierge,
du bouddha, de Gainsbourg grattant une guitare, de saint Nicolas,
tapis de prière, bassines bariolées…
En
haut, au-dessus de tout ça, sur une croix de six mètres de haut, le
fils de la dame du dessous tourne le dos et regarde de l’autre
côté.
À
l’entrée du lieu, une boutique de coin offre au pèlerin potentiel
parti trop vite de chez lui afin de ne pas rater le bus 88 (peu
fréquent les jours fériés) le matériel de base nécessaire à ses
dévotions. Au fond d’un rayonnage, une édition jaunie d’un
livret affiche un titre alléchant : la Véritable Histoire
de la grotte, par Geert Schoebirood, alias Soubiroux. Une
douzaine de pages seulement, en deux langues, mais qui méritent
d’être résumées ici :
Dans
les années 70 du xixe
siècle, un Jettois, Geert Schoebirood, décide de rompre avec
l’industrialisation naissante. Son rêve ? Élever des moutons
en montagne et renouer ainsi avec l’essence des choses loin, très
loin d’ici, la distance étant essentielle à la recherche de son
moi profond.
Il
part sur les chemins, son baluchon sur l’épaule, il marche,
marche… à travers la France. Il la traverse du Nord au Sud,
lentement mais sûrement.
Au
terme d’un voyage merveilleux quoique plein d’embuches, il arrive
dans les Pyrénées, à l’orée de la petite bourgade de Lourdes.
Il sent que c’est là qu’il doit s’arrêter. Il le sent comme
une illumination intérieure. Geert Schoebirood est très sensible
aux signes, il s’arrête...
L’indigène
ayant une grande tradition d’hospitalité, il est chaleureusement
accueilli. On lui trouve rapidement quelques arpents pour faire
brouter ses moutons et quatre murs pour s’installer au milieu du
village.
Geert
est un homme affable, bon vivant et ne dédaignant pas un verre ou
deux à l’auberge de la place. Il rencontre, il se lie, il
baragouine même rapidement quelques mots d’occitan. Puisqu’on
parle de l’occitan, justement, le nœud de l’histoire est là.
Son patronyme flamand, ses nouveaux compatriotes ne parviennent pas à
le prononcer. Pourtant, il le leur prononce phonétiquement, mais
rien n’y fait. Comme il est roux, tout le monde l’appelle
« Soubiroux », un nom très populaire dans le coin. Pour
l’en convaincre, une rencontre est même organisée avec Bernadette
Soubirous, une bergère devenue célèbre. Notre Geert tombe sous le
charme, évidemment…
Les
années passent tranquillement au fil des saisons. Les années
passent et l’âge fait son travail. Geert songe régulièrement à
revoir sa green
green grass of home avant
de l’issue fatale de tout un chacun.
Il
repartira en emportant un bout de ce morceau de paradis vers Jette.
En guise de cadeau d’adieu, ses amis lui confieront un morceau de
la grotte de Lourdes, celle de Bernadette Soubirous.
On
connaît la suite… Génération spontanée, le morceau a fait un
petit, deux petits, des centaines de petits, ceux qu’on a devant
les yeux aujourd’hui.
Miracle !
Bus 88,
arrêt Loyauté
Bus 88,
arrêt Loyauté, foule d’Assomption un jour de Toussaint.
Traversée
de Bruxelles en sens inverse.
Bus
88, terminus De Brouckère
Foule
du centre ville, un jour de Toussaint sous le soleil.
Miracle !
Josiane
Thibault
Ode
à la ligne 88
Aujourd’hui
je t’écris cher Amphyon mon père,
De la
ligne 88 qui t’est bien étrangère,
De ce
Boulevard Anspach où tant et tant d’odeurs
Fruitées
ou putrides donnent au matin saveur.
Un peu
comme autrefois où la main dans la main
Tu
m’emmenais acheter un album de Tintin
Rue du
Lombard nous descendions, et cette longue pente
Aujourd’hui
qu’j’ai ta taille est par trop commerçante.
Vous
n’en sortirez pas, dit Jean-Michel, debout.
Il parle
du gasoil, du bus qu’il alimente…
Vous
n’en sortirez pas, dit Jean-Michel debout
De
quoi ? D’ma belgitude, ou de cet oulipou ?
Tant
pis. Comme le canal, où les déchets s’entassent,
Derrière
une gare du Nord à la noirceur tenace,
Je tente
la jonction, et c’est pas sans grabuge !
Entre
Paris-Bruxelles, entre Thèbes et Carthage,
Entre
Frieda la blonde et Paris fausse image.
Jette
rue de la Loyauté. Quel poids inopportun, par ce gros mot vissé.
Les vis
du tram-tondeuse, qui rabote l’herbe fraiche
Les
riverains pensent : l’échevin est de mèche.
Heureusement
dans cette zone mi-banlieue mi-urbaine
Des
habitants sensés ont voulu un domaine
Où de
tout petits mots, des couleurs, des mosaïques,
Sur le
sol piétiné versent des mots magiques.
Deux
petits coups d’sonnette…
Magritte
est un mystère, mais je vois dans le poêle
Rutilant
poêle noir au milieu du salon
Un air
de Dark Vador,
Sans
doute désuet déjà, mais drôlement bougon.
La porte
se referme, sur Magritte et son poêle
Sa pipe
et son espace, ses Barbares impatients
Valent-ils
le parfum de ces drôles de sarments
Echangés
dans la grotte, qui ouvre ses mystères
Près
d’un chemin de croix, fût-il de mon père.
Michèle
Terdiman
À la
sortie du métro ce matin, un ange aux ailes noires cherchait son
chemin.
Oui je
l’ai bien vu perdu noirci de plumes, au coin du Boulevard Anspach,
quel apache !
Tous à
la file indienne jusqu’au départ du Bus 88, en route pour une
Ode d’onze kilomètres,
En
direction d’Heysel pas jusqu’au terminus, juste une demie ligne
ou plus, mais à vos plumes !
Nous
approchons du Béguinage, puis du café Chez Henri enfin écrit à
l’endroit.
Soudain
le bus freine, et comme un barrissement d’éléphant ! Est-ce
dehors ou dedans ?
Rue
d’Anvers, approchons l’harmonie entre Jupiler et le Caméléon,
Love story.
À
l’héliport, énorme tas de feuilles engrillagé, en grille âgée
mais peu rouillée.
Passons
le canal, en 1470 c’était l’un des plus
grands d’Europe, allant de la Senne à la mer
et
navigable jusqu’à St Gilles.
Puis,
une tour de 42 étages postée là comme un mirador, mais de là-haut,
voit-on la mer ?
Vers
Dieudonné Lefèvre, Place de la Maison rouge, une statue de
Pouchkine,
Puis sur
le trottoir une moto emmaillotée d’argent, serait-ce celle de
Poutine ?
2200
arrêts de tram et bus en surface ici, nous signale-t-on ! Café
Le Flore, arrêt Loyauté.
Traversons
rails verdurisés, où le tram tondeuse passe été comme hiver.
À cet
instant, nous allons “margueriter “, enfin nous rendre chez
Magritte !
Mais sa
femme Georgette est sortie, peut-être partie écrire sur un
tableau repeint : chapeau rouge.
Et son
Loulou de Poméranie lui est bien resté là sur le lit, chien plus
grand que nature à ce qu’on dit.
Passage
à la grotte Ave Maria, pour nous laver de tous les mots, ici les
phrases ne sont pas Lourdes.
Près de
là, l’eau delà, “Turbo Wash“ et l’écriteau : Fermez
bien la porte…
Hôtel
de ville, hôtel de vide, Laeken ça claque enfin rénové !
Bien visibles au marché parties de corps,
de
jambes en l’air noires, sont-ce celles de l’ange croisé ce
matin, ici troquées contre des ailes ?
Montent
en bus quelques femmes en foulard au soleil de Bruxelles.
Nostalgie
a perdu quelques lettres (le bus est passé si vite, le S a basculé),
pourtant elle demeure !
Car sur
les arbres on peut lire : Remettre les pavés !
Chantal
Danjon
Tout a
commencé hier, 10h45, au kilomètre zéro de la ligne 88. Mon
vieux bus était au rendez-vous et il m’accueillit avec joie malgré
son air comprimé de direction assistée.
Je
n’avais aucun but, je disais vagues au bord du rêve. Et nous voilà
partis, wagelant cahin-caha dans l’allée du port. Arrivés au bord
de la Senne, navigable en cette saison, nous avons plongé sans
chichi entre les péniches ballotées par la houle. Puis nous sommes
remontés le long des cages en verre de Manhattan, où deux ailes
noires envolaient un ange dans un ciel bleu qui faisait mal.
J’avais
toujours rêvé de voler. Il m’arrivait souvent de flotter au sein
blanc des nuages, planant sans contraintes autour de l’espace. Mais
justement le problème de l’espace m’inquiétait depuis quelque
temps, je n’arrivais plus à faire entrer l’un dans l’autre et
j’étais pris dans le vertige d’une transparence où tout pouvait
sombrer sans sommation.
Ce doute
insoutenable m’avait au bout du compte ramené vers mon vieux
bus 88, lui qui ne promettait rien qu’un air de diésel et des
pavés bâtards sans miracle et sans prétention.
Mais
très vite la ville d’ordinaire si bruxelloise me parut dure et
bruyante, à vrai dire folle au bord de l’Yser. Une armée de
platanes a soudain brisé le parebrise avec une violence inouïe :
ils se dressaient sur la route, les branches en croix, dans une furia
incantatoire et protestataire, brandissant leurs feuilles jaunes
comme des lunes cyclopes. Moratoire, moratoire, hurlaient-ils, et le
cri des oiseaux manchots leur faisait écho.
Pris
d’une insondable frayeur, mon vieux bus s’est enfui, prêt à
faire des milliers de kilomètres pour échapper au tumulte des
opprimés. Et, à mon plus ahurissant étonnement, ce vieux mécréant
a pris un virage à droite ; je l’ai entendu chuchoter le nom
de Dieu, nom de Dieu ! Je l’ai senti prêt à se mettre à
genoux, je l’ai vu joindre ses roues et baisser les essieux. Lui
qui jadis avait conduit Pouchkine Place de la Révolution en
compagnie d’un bourgmestre socialiste, lui qui jadis, nom de Dieu,
ni Dieu ni maitre.
Cette
métamorphose m’a fait perdre la tête. Mon vieux bus. Moi. Nous,
vieux comparses rebelles, nous et Marx avec le Capital refaisant le
monde au bar de la Loyauté. Et puis plus rien. Enfin, Dieu.
Le ciel
se retournait sur lui-même, les chapeaux marchaient sans tête, les
pavés brandissaient des palimpsestes cabalistiques, je tombais dans
des pièges de méduse, une pipe me riait au nez, un fantôme creux
traversait les murs en tenant des discours incohérents sur la
trahison des images…
Je
n’avais plus aucun repère, je ne voyais plus rien autour du
paysage.
J’ai
perdu conscience sans gagner l’inconscient, noyé dans les
molécules dissipées d’un écosystème relatif.
Je me
suis réveillé à Lourdes. Nous sommes à Lourdes. Il nous a
conduits à Lourdes. Lui qui ni Dieu ni maitre, peuples de tous les
pays. Affalé dans une grotte en béton. Il achète des bougies alors
qu’il en a plein dans le ventre. Dépose son parechoc en offrande à
Bernadette Soubirous. Devant une
croideboicroidefersijmenjvaisenenfer, lui qui jadis marteaufaucillait
les gendarmes sur l’avenue Bolivar. Son guidon couronne la tête
d’un gars qui ne voit pas plus loin que le bout de ses pieds.
L’évêque du roi, debout sur le capot, crie au miracle devant
cette marécageuse conversion.
Et moi
je ne sais plus qui je suis.
J’ai
fouillé ma poche arrière pour trouver ma carte d’identité. Elle
est fausse depuis des siècles, je ne m’y suis pas retrouvé. Je me
suis cherché ailleurs. Je suis tombé dans la crevasse d’une
montagne glacée. Le ciel était toujours bleu à en crever.
J’ai
fermé les yeux. À l’intérieur c’était le vide, un vide
sidéral et sidérant, si total et infini, que.
Bref
j’ai décidé de ne rien faire, pour ne pas m’éparpiller.
Pendant les 10 heures qui ont suivi je suis resté couché au fond de
cette crevasse, laissant monter le froid jusqu’à ne plus exister.
Ainsi rassuré, je me suis envolé bien loin de la ligne du bus 88
et de ce bleu de ciel de bleu de Dieu. Il me fallait du brun, du
rouge, de la crasse et du vivant, je me suis posé le long du canal
sur une montagne de déchets où couvait une chaleur animale.
À mes
pieds le canal immobile à l’horizontale, la ligne du temps
exactement perpendiculaire. Pas un souffle de vent. Les nuages
plantés depuis des siècles dans un ciel gris, sans la moindre
velléité d’avancer ni de reculer. Dans mes narines une fumée
âcre. Je suis bien sous les pavés la plage.
Marianne
Prévost
Le
souffle des ailes d’un ange noir
Nous
emporte au terminus du 88
Ange
noir aux yeux rougis de blanche nuit
Qui nous
a déposés à l’ultime station,
Devenue
première par un retournement de situation.
Et
tandis que frémissants, et bientôt bouillonnants,
Nous
attendons notre rame de surface
Le Guide
suprême, Shéhérazade occidental,
Nous
conte son permis D, poids lourds,
Et sa
vie de conducteur d’autobus
(On sait
qu’il faut dire machiniste) :
Autobus
à compression décomprimée,
N’avançant
qu’au rythme du piéton ;
Autobus
sans jauge d’essence, puis censé être quotidiennement
Nourri
aux fastes et généreuses pompes : il chausse du 88 ;
Autobus
tombant en panne d’essence sur l’autoroute,
Guide
Suprême arrêtant un chauffeur de camion
Qui le
dépanne de 5 litres de gaz oil
Puis se
glisse sous l’autobus pour
Amorcer
la pompe (le bus chausse du 88)
Et
conduire le nectar des dieux du sable
Aux
rouages de l’explosion des pistons ;
Le Guide
Suprême est aussi suprême
En ceci
qu’il arbore un gilet orange à bandes
Argentées
fluorescentes où éclate en lettres de feu
« Bike
experience »
Mais
voilà notre carrosse qui entre en scène
11 km
pour la ligne 88
Chaque
kilomètre parcouru valant 8 numéros de la ligne
Et c’est
aussitôt que, dans un fracas de tonnerre
Apparait
le nom de « La Vierge noire »
J’ai
connu une Vierge foncée dans le Massif Central
Vierge
en bois de la cathédrale de Saint-Nectaire,
Et une
autre Vierge noire dans la cathédrale
De
Moussara où des millions de vierges noires
vierges
en plastique noir s’écoulent chaque année
Au
rythme des pèlerins
(Un jour
j’ai vu un pèlerin enfiler une pèlerine
Et s’y
sentant enfin au chaud)
Un nuage
d’hirondelles savamment massées
Que
dis-je une strate d’hirondelles
Nous
coupe la route, que nous manquons
D’éborgner,
Hirondelles Straat,
Avant
d’atteindre sur la placette
Le Salon
Lavoir,
Salon
Lavoir ou Salon L’être ?
Salon
L’être ou Salon des Lettres ?
Les
questions se pressent
Salon :
l’avoir ou pas ?
La
réponse fuse sur l’enseigne :
Salon
Lavoir lavomatic
Mais
notre chameau galope dans le Sahara
Septentrional
que nous zébrons et
La porte
s’ouvre
Dans un
hurlement de bête mise à mort,
Il
semble qu’à chaque arrêt on égorge un porc
De la
porte, être ouverte ou fermée, tel est le sort
Et c’est
dans un râle affreux qu’elle crie son effort
Station
Yser, Ijser, bilinguisme oblige
Mais ij
en minuscule s’écrit ij
Et,
supprimant les points sur les i et sur les j,
Faute de
tatillonnerie, ij devient
Exactement
y, de sorte que Yser = Ijser.
Un
message au micro du machiniste
Nous
cause de WTC et de VTC
Et je
m’interroge sur la formulation
La plus
jolie et précise : doit-on dire
« Je
vais aux WTC » ou bien « Je vais aux VTC » ?
Question
lancinante que je résous en allant
Deux
fois coup sur coup aux VTC,
C’est-à-dire
une fois aux WTV
Tel est
le fruit de la réflexion
Issue de
la chasse aux lettres
Et je
n’omets pas de tirer la chasse en sortant.
La
chasse s’ouvre alors sur le Manhattan de Bruxelles
Un
Manhattan de pacotille
Un
Manhattan de verroterie
Le
véritable homme de Bruxelles est le Manneken pis
Le
Manneken pis est un homme qui attend, certes,
Mais
Manneken pis et Man attend n’équivalent pas.
Arrêt
Simon Bolivar : une fois de plus
La biche
brame : elle a perdu
Son
petit faon délicieux.
Et là,
la plus haute tour de Bruxelles,
42
étages, à laquelle fait face,
Comme un
pâle écho, une centrale à béton
Qui
voudrait se faire aussi grosse que le bœuf
Surmontant
la frondaison des platanes, mais que vois-je ?
Un
rassemblement de platanes
Sagement
rangés, deux par deux,
Ils
manifestent, s’étant accroché au cou
Des
panneaux : « I love Platane « ,
« Sauvez-moi ! »
Des
kakémonos « Je risque ma vie »
Ce sont
parfois des activistes qu’ils enchainent
À leur
tronc, égareurs volontaires de clefs
Ils
manifestent leur intérêt, ils manifestent
Leur
instinct de survie
Ils sont
bien une centaine
— Non,
28, a dit la Police
Et ce
sont des millions de pavés
Qui
gisent là, luisants, — Cent mille a dit la Police
Et qui
manifestent là, en m’empêchant d’écrire.
Les
platanes cependant ont fui
Les
robinets aussi
Et
laissent place à un Pouchkine monumental
Drapé
dans un lourd velours de bronze
Que le
vent fait trembler d’un Romantisme échevelé
Immortalisant
l’auteur cocufié
Qu’un
duel contre l’amant de sa femme a stoppé net
Dans son
élan
Pouchkine
n’est plus, mais Pouchkine est vibrant
De
bronze écarlate et furieux
Non loin
de l’arrêt Bockstael
Qui rime
avec Madame de Staël
Dont je
me rappelle la (trop prudente) maxime :
« En
société, veillons sur notre langage,
En
famille, veillons sur notre humeur,
Seul,
veillons sur nos pensées. »
Maxime
de sens lourde,
Comme la
grotte de même nom,
Dont une
pierre a été prélevée, arrachée
Pour
être à Bruxelles apposée, grottifiée,
Dans une
architecture de béton
Où vont
se réfugier les signes bigots
Qui sont
les zozos de Vincennes
Ou leur
équivalent ici
Allez,
dehors, me voici, ouste
Parvenu
à la station Woeste.
À
quelques encablures de là, croise
La rue
Esseghem, consacrée à Magritte
Dès
l’abord de la rue, les habitants ont fiché dans le pavement
Des
mosaïques empruntées aux thèmes de Magritte
Enfin le
135 de la rue, et surtout, juste devant :
Un
réverbère, que dis-je ? LE réverbère !
Le seul,
l’unique de la rue, c’est-à-dire celui
De
L’Empire des Lumières
Qui est
peut-être de la lumière l’An meilleur.
Salon
bourgeois, Georgette et René étaient installés là de 1930 à 1954
Années
difficiles pour eux, mais riches de 800 œuvres de René ;
En
attendant la gloire (qui viendra !), Magritte vit
De ses
« travaux imbéciles » (publicité, illustrations,
publication de partitions illustrées)
Et
Georgette rapporte l’argent du ménage.
Magritte
reçoit dans la salle à manger le groupe surréaliste belge
Qui,
tous les dimanches notamment, attribue des titres aux œuvres du
peintre.
N’ayant
pas eu d’enfants, ils avaient un chien blanc, Loulou
Qui est
là, sur le lit, empaillé, encore que de mauvaises langues disent
Que ce
Loulou-là empaillé est plus gros que le Loulou véritable
Dont on
a des photos ; Loulou tellement présent
Que dans
les bonnes années, les années 1960,
Magritte,
dans les grands restaurants et hôtels qu’il fréquentait
Ne
mangeait pas en salle, mais à l’office, afin de ne pas se séparer
de Loulou.
Une
grande cage à oiseaux et perruches en sortant
Par la
porte de la cuisine donnant sur un arrière jardin, à côté de la
pompe à eau à main,
Puis, au
fond dudit jardin, le « Studio Dongo »
Magritte
était dingue de Stendhal, dingue del Dongo
D’où
son atelier au fond du jardin
Qui
abrite la poubelle 135 en zinc, sauvée du débarras et de
l’oubli
Par la
vigilance du sieur Jean-Michel Pochet
Et par
la fenêtre du jardin, revenant à la maison,
On voit
la salle de bains et les toilettes des Magritte
La
cuisine aussi, où trône la boite de sel Cerrebos
Sel de
table, marque déposée
« Pour
ouvrir, lever le verseur métallique à la pointe de la flèche »
Et là,
plus haut, un tapis mural de Georgette avec ce texte
De Paul
Nougé
S S E B
E I
I E P O V E
T E O R E N
A I S D S S
P C E D O T
E
I A U U O
N S U R V I
Qu’il
faut lire verticalement : « Si ta pensée ici se pose au
bord du rêve, souviens-toi ! »
« Magritte,
nous dit Scutenaire, est un grand peintre : Magritte n’est pas
un peintre. »
Les
destructions des œuvres de Magritte ont trois causes principales
Apprend-on
à l’étage où précisément des peintures détruites ont été
recomposées.
— Les
bombardements de Londres en 1940 où un galeriste entreposait de
nombreuses œuvres
— Des
incendies chez les collectionneurs américains
(Il y
avait dans les années cinquante un engouement américain pour
Magritte)
Une
lettre de Magritte qui s’étonne d’un incendie et de la
destruction
D’un
de ses tableaux, avec force points d’exclamation !!!
— Ou
encore des repeints par le peintre lui-même.
Le
problème de l’espace, en 1928, fait apparaitre
la
première pipe dans l’œuvre de Magritte.
Nous
sommes repartis, nous avons marché un peu
Très
peu, et sommes parvenus à la grotte :
En 1914,
une pierre de Lourdes a été arrachée, volée, subtilisée,
emportée
Apportée
ici, à Bruxelles, et une grotte de Lourdes a été recomposée
Autour
de cette pierre unique
Néons,
Marie, Bernadette, et tout au sommet
Un
Christ ouvre les bras
Je monte
au haut de la grotte :
À côté
du Christ est un arbre, un tronc d’arbre mort
Qui fait
comme une croix lui aussi et qui ouvre ses bras morts
Au-dessus
de la grotte de Lourdes de Bruxelles,
Pareils
aux Dupond-Dupont, sont deux Christ
Parallèles
et similaires, et leurs quatre bras nous bénissent :
Marie
savait-elle qu’elle avait eu des jumeaux ?
Une
machine électrique vend des cierges dans la cahutte
À côté
de la grotte.
Comme on
le sait, la religion ne fait pas de commerce.
Mais
elle accepte les dons.
En
conséquence de quoi, la machine accepte les billets.
Mais ne
rend pas la monnaie.
Partis
nous revoilà, nous attendons notre 88 de retour
Devant
une incompréhensible publicité :
Kapotte
lampen naar het containerpark of de winkel
Censée
vanter les mérites du recyclage des ampoules usagées
Mais qui
présente un bonhomme se servant de tube néon comme d’une capote
Lui-même
s’étant glissé à l’intérieur de la capote-Kapotte
Étrange
publicité, étrange incitation, étrange dessin d’une laideur
repoussante.
Nous
remontons dans le 88
Une
grosse jeune femme, avec poussette et fillette
Fait
face à une grosse vieille femme
Même
format, 35 années d’écart :
Serait-ce
l’empire des lumières ?
Face à
moi, dans le bus, derrière une vitre, un homme écrit, chauve
Je lève
les yeux pour savoir qui d’autre écrit un poème de 88 :
Il lève
les yeux aussi.
J’enlève
mes lunettes : il fait de même
Et alors
seulement je le reconnais :
C’est
mon propre reflet dans la vitre au-dessus de Marion.
Olivier
Salon
Nous allons monter dans le bus 88.
Le ciel est bleu, il fait bon, « la
vie est belge »
On s’inquiète. Jean-Michel n’est
pas au rendez-vous.
Quand il arrive, toutes les oreilles se
tendent car il a des choses, beaucoup de choses à nous raconter.
Anecdotes succulentes constelleront le
parcours.
À Jette, (sans nous jeter), le
quartier me semble charmant.
Les maisons, les immeubles sont de
proportion raisonnable.
De jolis rideaux de guipure ornent les
fenêtres.
Contraste d’autant plus grand que
nous étions passés par « Manathan » aux fenêtres de
glace.
Les abris bus ont
gardé un air « Art Déco » qui se décline jusqu’à la
copie moderne mais élégante des « marquises » qui
chapeautent l’entrée de métro de la Place des Abbesses, à
Montmartre, près du Sacré Cœur de Paris.
Petit hommage au bon
vieux temps quand ce qui est beau à voir l’est vraiment. Ici tous
les abris bus sont beaux, parfois la copie est plus simple mais de
facture agréable.
Toujours en
cahotant, prendre des notes est inconfortable.
Allée du Port nous
tressautons entre deux rangées de platanes « protégés ».
Oui ! Un nouveau plan d’urbanisme prévoit qu’ils seront
abattus : Bruxelles se fâche. Bruxelles ne veut pas non plus
que le million et demi (Jean-Michel en connait le nombre) de pavés
qui recouvrent cette chaussée passent à la trappe.
Bruxelles a raison
de protester.
Sur une place, bien
en vue, la statue de Pouchkine surprend. Ce sont ses descendants qui
l’ont fait ériger là et le roi Léopold 1er en fut tout marri !
La MAISON de René
MAGRITTE, sise au n°135 de la rue Esseghem, est émouvante dans sa
simplicité, l’atelier tenant tout entier dans la petite salle à
manger.
Nous y parvenons en
suivant la piste des mosaïques colorées serties dans le bitume des
rues du quartier.
Quelques œuvres
sont exposées là, à fleur de terre.
Notre guide nous
rapporte un bon mot de l’un des amis du maitre « C’est un
grand peintre, ce n’est pas un peintre. C’est un penseur ! »
On peut rendre
hommage à son épouse Georgette qui subvenait, souvent seule, aux
besoins du ménage.
La grotte !
Immanquable ! Reconstitution parfaite de la grotte de Lourdes.
Une petite pause à
l’abri des grands arbres du parc.
Là, de notre banc.
Miracle ou mirage ?
Un grimpeur
téméraire écarte les bras entre les croix des deux larrons !
Non seulement nous
avons vu Lourdes mais aussi le Golgotha !
Nous rentrons de
cette expédition le cœur content et descendons place de Brouckère
dans la circulation brouillonne de notre temps.
Marie-Claude Antoine
Le bus 88 nous mène
vers Heysel
Par la chaussée
d’Anvers et ses cages de verre
Jean-Michel aventure
c’est mieux que prendre l’air
Des tonnes de
déchets éventrent le canal
De battre le pavé
mon cœur a tressailli
L’Amphion
faux-messie je m’en fous dit Zazie
Sauvez-moi
sauvez-moi silence assourdissant
De leurs troncs
alignés platanes au ciel hurlant
Place Pouchkine en
rond le ciel brille au marché
À Boekstael sur la
place partie de jambes en l’air
Danse immobile en
vers, gambettes noires huit paires
Attendent leurs
guêpières pour s’en aller danser
Rue Esseghem se
niche un réverbère en Jette
Au 135 en briques
Magritte et sa Georgette
Crèchent avec leur
Loulou les tableaux disparus
Fantômes
surplombant le rêve t’en souviens-tu ?
De la fumée de pipe
aux chants de Maldoror
Trahison des images
incendiées négligence
Je ne vois rien
autour du paysage d’or
Caché à nos yeux
clos marque d’une indigence ?
Crotte de Lourdes en
Jette et petit pape en blanc
Veille la pierre
noire ex-votos fleurs d’argent
Olivier excité à
l’idée du rocher
Envolée poétique
voudrait l’escalader
Retour à de
Brouckère le Metteko attend
Surréalisme envers
titres recomposés
Miller Lévy nous
rit sa carbonade avant
En hommage à
Roubaud une ode au bus posée
Marie Wallet
Nous empruntâmes un
autobus
En oubliant son
terminus
Le conducteur de la
machine
A laissé ses
humeurs au dépôt,
Checké la liste,
énergie, fuel, pression pneumatique,
Huile, frein de
secours, marteau à vitre
Et composteur
électro mécanique.
Nous le guettons
vers le halo ensoleillé
En œil anxieux de
la ballade
L’autre encore
tout ensommeillé.
La ligne huit huit
en court-circuit
Promet des arrêts
inédits.
Portes ouvertes,
passagers attroupés
Laissent une
poussette monter et la porte couiner
La voie est libre et
la rue de la vierge noire
Disparait à l’ombre
des échoppes.
Quatre-vingt-huit
platanes alignés, menacés
Rythment les artères
en persistant
À renoncer à
perdre leurs feuilles
Sous la lumière
châtain pâle
Bolivar aurait-il
aimé un Manhattan à ses côtés ?
Le bus oscille
souplement
En ignorant les
rubans de travaux
Où mille pavés
attendent d’être remplacés.
Et passe le canal
sous l’allée verte
Et coule la Senne
Et la nappe de
moutons blancs s’étale dans le ciel
Et bêlent au-dessus
des bâtisses de briques ocres
On s’arrête dans
le jette,
Allez oust ! à
la station Woeste.
Sylvie Andrieu
Ça
commence par un mot,
ligne,
ligne
de chance ligne de hanche ou ligne d’erre
une
déambulation en bordure du vide
La
ligne est une façon de boucher les trous dans la ville
puis
De
la mâcher, de la grincer
De
la bruxer
elle
bruxe, elle bruxe
De
lui dire j’ai vu ce corps vivant
imbibé
de liqueur de béton
Woeste
station,
ça
évoque un ancien temps
des
anciens horaires
des
anciens bus
d’un
ancien Paris aussi que vous aimâtes.
Ici
il y a des frites, des marrons chauds, des kebabs à cools
ça
pédale puis ça parle
air
comprimé, volant assisté, panne sèche,
pomper,
ramper
Mercédès
Volvo
réservoir
milieu moteur arrière
un
abus de bus
elles
abusent à bus-elles, à bus-ailes
à
brusqu’elles
Ça
continue par un bidon de 5 litres
de
gaz oil
cette
histoire défourchée de panne, de lenteur, de vie
dévie,
il
faut apporter le fluide nécessaire à la formation des mots
cyclamen,
clinamen,
nous
autres nous voici entre le trait et la ligne
on
attend le bus 88,
pour
une fuite en huit huit
Mes
lignes étaient des mots
Les
voici devenus chiffres
en
rang.
J'entends
direction Enfion,
Voilà
que ça bascule dans le grossier,
Si
c’est ça le mot
faudrait
plutôt retourner dans le chiffre,
because
l’élégance
elle
partirait d'un 0 la ligne 88 pour aller à un 88,
mais
ce serait où elle irait où celle-là?
dans
le bus
ma
tête glisserait dans les rails d’une suite arithmétique,
ça
ferait un sacré numéro,
au-delà
des vitres, le pair à gauche, l'impair à droite
alors
l'espace vous lisse ou vous délice, du continu qui se succède en
continu,
pour
un voyage du genre qu' arrêterait d'un hoquet!
Le
bus est mort avant moi,
il
raconte on écoute
arrêt
provisoire!
Ca
vroume pouette broume à la John Cage,
Les
chiffres ce n'est pas les lettres
Faut
se méfier des mots eux qui trahissent du dedans le vrai,
Si
tant est plutôt qu'alors on s’essaierait à écrire
constructiviste,
Kom
Kosovel le poète slovène avec son poème/théorème 5
or
= fumier = bourgeoisie en hommage aux bourgeoisio 0 des twenties.
Ça
annonce d'une voix machinarde le consortium des parkings, le WTC.
Arrêt
Louis le Broucke
Brille
la statue de Pouchkine
On
croirait Eugène Onéguine
Sur
un rond point bitumé
À
l'octo syllabe rimé:
Vous
avez fui jours d'allégresse
Seront
baignés de brume épaisse...
Descendrai-je
seul dans la nuit
Demain
lorsque l'aube aura lui.
Arrêt
télémoustique arrêtez les moustiques
au
garage Futurpneu un gars a l'air comprimé
il
rentre au Bar de l'orchidée qui lui est chair.
Ça
hairstyling shampoing brushing
mise
en pli chignon permanente
pour
les zacardes et les zupistes
qu'attendent
le 88
devant
un ovale art déco.
Et
Stella Stella qui grimpe dans l'ottanto otto
entre
Artois et l'art de moi
elle
glisse le ticket
dans
la fente
elle
hésite
la
langue fait l'homme assis
ou
la langue fait l'assis homme.
Un
mec la zieute
Dans
l’autobus il a un long cou et un drôle de chapeau
Ça
descend à la station de chez Magritte
Ailleurs
nulle part qu'ici on rentre au bout d'un poème en forme de
sonner/t
toujours 2 fois.
À
l'étage il y a le cercle des Magritte disparus
dans
le calciné
Et
Loulou, René, Georgette
Des
qui
mangent
tous les 3 à l'office dans les restos
Cause
Loulou qu’est pas invité à la noce.
Il
y a une culotte ou une poubelle en zinc au 135
Sauvée
par
Ceci
n'est pas une poubelle c'est ce qui
reste
du monde des druides escrocs proprios
détruits
qui
ont trainé la boue à bout de la bourgeoisie.
Ceci
n'est pas une tranchée
l'échappé
du chapeau tais
les
mots, allume
le
lampen prolétariat, jette
les
étendards aux gloutons et
l'oriflamme
à la belote des synapses.
L'aube
désaturée épile le cerveau des impuissants.
Le
coup de sang poète transforme un mort en ouvre-boite.
La
pensée gicle hors du rêve, elle
muselle
céleste les gâcheries éternelles. Une
littérature
de vitrine excite la révolution.
Ceci
n'est pas un morceau de fromage, le
chapeau
rouge exhibe le bâton à peindre l'intelligence, les
barbares
impatients rencontrent les collaborateurs du ciel bleu.
Malville,
Michalon, Fraisse, les
assassins
à pipe jettent leurs rayons de mort dans les blancs espaces
Magritte,
Renais !
Ceci
n'est pas une grenade,
l'osmoralité
du sommeil éblouit un paradis de pommes, de nuages, de feutres, de
coïts
endardés, les
vagues
encerclent l'imbécile à l'ode lourde.
Ceci
est une grotte
Le
grand cuisinier de l’univers découpe les frites de cire chaude,
En
bougies caverneuses
la
graisse dégouline des chastes mains jointes de tant de vierges.
Cire
saindoux filandreuse fit la menteuse froide.
Psalmodie
le rosaire, elle erre la rose, dit mot maudit et lui
ampoule
encycliquée enfile une
capote
en filament.
Magritte
ou ma grotte
Kapote
le Paradis des gueules à recycler.
Sans
elle, geste perdu,
je
vous salue Marion
Jean-Philippe Mangeon