Aujourd'hui,
je n'ai rien fait
Jeudi 30 octobre 2014 avec A.
Charcosset
Continuer un poème de Roberto Juarroz dont nous recevons les deux
premières phrases.
"Aujourd’hui,
je n’ai rien fait
Mais
beaucoup de choses se sont faites en moi”
Roberto Juarroz
Aujourd’hui,
je n’ai rien fait
Mais
beaucoup de choses se sont faites en moi.
Je suis à présent
mélangé, décalé, totalement déjanté.
Est-ce cela, la folie des
glandeurs ?
Michel Charlier
Aujourd’hui,
je n’ai rien fait
Mais
beaucoup de choses se sont faites en moi.
Je suis
sur le parvis, l’œil rivé à la chose noire, une bosse posée à
même le sol,
J’entends
battre mon sang dans le brouhaha lointain du marché.
Je suis
parfaitement absente aux pieds des passants qui m’évitent et me
bousculent.
Le noir
cogne mon œil, je deviens bosse noire.
Mon
sang bat plus fort, je m’alourdis et perce les pavés de la place.
Je suis
sous terre.
Tout
est sombre et pourtant, il y a cette clarté si semblable à celle
qui sourde des vitraux de l’église St Jean Baptiste.
La peau
de mon ventre est devenue translucide.
A
l’intérieur, des dizaines de fils s’enroulent et se déroulent
autour de mon nombril.
Plus
bas, une balançoire grince dans ma jambe droite, et dans la gauche,
un orateur illustre à coups de grands gestes sa passion pour les
arts martiaux.
Je
vibre comme un tambour.
Je
m’enfonce un peu plus.
Tel un
lierre, je m’accroche aux parois d’un granit noir.
Je
glisse et mes mains s’ouvrent libérant un flot de dentelle qui
chante notre avenir sur la planète Mars.
Dans ma
tête, c’est le chaos, celui de l’exil, de l’amoncellement des
richesses chinoises cachées dans la moutarde, du poème gravé le
long du canal gris, des péniches pleines de rires d’enfants ou des
francs-maçons.
J’en
perds l’équilibre, suis propulsée hors des pavés de la place.
Je ne
me reconnais plus. Mon corps a enflé.
Ballon,
je survole le marché, un euro, un euro ! Ou encore un euro, un
euro !
Des
ailes me poussent,
Je
deviens dragon, celui du Chinois qui surveille
jalousement son dépôt d’œuvres contemporaines.
Arrivée
près du poste de police, je retombe sur mes pieds et reprends mes
esprits.
C’est
toujours bien moi, mais
Du
dragon me restent quelques écailles que je colle sur mes paumes,
Du
ballon, une légèreté que je place sous mes pieds,
Du
granit, une force qui s’empare de mes mains,
Du
tambour, une pulsation qui gronde comme un flambeau.
Ce
soir, le ciel est plein de douceur, je suis toujours assise sur le
parvis Saint-Jean Baptiste, je n’ai pas bougé de toute la journée,
j’ai faim !
Minou
Poznantek
Aujourd’hui je n’ai rien fait
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi
Aujourd’hui,
je n’ai rien dit
Mais
beaucoup de phrases se sont dites en moi
Aujourd’hui
j’ai écrit beaucoup de proses, de vers, des histoires de soleil et
de voyage
Car beaucoup
de proses et de vers se sont déposés en moi
Aujourd’hui
je lirai beaucoup de pages encore, la journée n’est pas close
Mais demain
combien de pages s’envoleront de moi
Aujourd’hui je n’ai
rien fait.
Il n’est pas tout à
fait exact de dire que je n’ai rien fait. Mon corps est sorti de la
maison à 10h du matin et s’est assis sur l’escalier de l’église,
bien décidé à ne rien faire. Ce que j’ai fait à partir de
10h15. Rien dit rien pensé rien bougé. Jusqu’au crépuscule.
Cette journée m’a
laissé une fatigue ineffable. Kilo de plume kilo de plomb.
Quand j’y repense sous
le soleil couchant, je réalise que beaucoup de choses se sont faites
en moi. Dès le départ, un air frais a traversé mes narines et
s’est glissé le long de mon pharynx pour aller je ne sais où.
Tous mes poils se sont mis au garde-à-vous comme un seul homme, mon
sang a cogné mes joues à peine éveillées, mes épaules se sont
durcies sous l’écran de ma gabardine. Pendant ce temps, ma moelle
osseuse fabriquait courageusement plus de 2 millions de globules
rouges par seconde. Un travail éreintant, et moi qui ne faisais
rien.
Derrière le temps nuageux
qui passait à mon insu, le soleil fulminait en silence. Il a surgi
par surprise à 13h et l’air s’est échauffé avec l’ardeur
d’une vieille colère bondissant hors de sa cage. La gabardine
m’est tombée des épaules, mon corps s’est alangui comme une
tulipe adolescente et mes poils se sont recouchés. Flairant
l’inattendu, ma langue s’est hasardée sur ma main et les
papilles gustatives situées sur ses bas-côtés ont alerté mon lobe
temporal quant au gout de sel qu’avait désormais pris ma peau.
À 16h30, un léger bruit
a fait vibrer mes tympans, tandis qu’une couleur pâle frôlait ma
rétine avec insistance. Mon nerf optique s’est mis en branle et le
lobe occipital situé à l’arrière de mon cerveau a dessiné
l’image d’un enfant tout petit escaladant l’interminable
escalier de l’église. Accroché à la rampe, cet enfant a fixé
sur mon visage deux larges yeux noirs avec un timide effroi tout au
fond.
Ma bouche s’est
légèrement entrouverte. Son coin gauche a vacillé vers le haut,
puis l’autre. Un léger tremblement s’est infiltré sous ma cage
thoracique.
Et là, ma main droite a
frémi. Elle s’est posée sans mots dire sur la tête de ce tout
petit enfant. Des cheveux doux et bouclés ont caressé ma paume
rêche. Mes doigts ont oscillé de gauche à droite, de droite à
gauche. Et puis en rond.
Alors une boule de poils
s’est enroulée dans mon ventre, en ronronnant très doucement.
Marianne Prévost
Aujourd’hui je n’ai rien fait
Mais beaucoup de choses se sont faites
en moi
Temps
suspendu au fil du balancement
Ciel
mouvementé aux clartés fugitives
Miroir
en dedans d’une attente indistincte
Attention
fébrile au sens encore diffus
À peine
effleurée d’un changement radical
L’hirondelle
migre où la porte le vent
Ne se
souciant ni d’hier ni de demain
Et moi ?
vais-je me laisser faire ?
Marie
Wallet
Aujourd’hui
je n’ai rien fait
Aujourd’hui
je n’ai rien fait
Mais
beaucoup de choses se sont faites en moi
Et
défaites aussi, peut-être
Mais
exprès
Comme
un tricot dans lequel on aurait emmêlé
Qui
les pinceaux, qui les aiguilles
Et
les peurs des garçons
Et
les envies des filles.
Amélie
Charcosset
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