mardi 18 novembre 2014

Aujourd'hui, je n'ai rien fait


Aujourd'hui, je n'ai rien fait
Jeudi 30 octobre 2014 avec A. Charcosset
Continuer un poème de Roberto Juarroz dont nous recevons les deux premières phrases.

"Aujourd’hui, je n’ai rien fait 
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi” 
Roberto Juarroz

Aujourd’hui, je n’ai rien fait
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.
Je suis à présent mélangé, décalé, totalement déjanté.
Est-ce cela, la folie des glandeurs ?

Michel Charlier

Aujourd’hui, je n’ai rien fait
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.
Je suis sur le parvis, l’œil rivé à la chose noire, une bosse posée à même le sol,
J’entends battre mon sang dans le brouhaha lointain du marché.
Je suis parfaitement absente aux pieds des passants qui m’évitent et me bousculent.
Le noir cogne mon œil, je deviens bosse noire.
Mon sang bat plus fort, je m’alourdis et perce les pavés de la place.
Je suis sous terre.
Tout est sombre et pourtant, il y a cette clarté si semblable à celle qui sourde des vitraux de l’église St Jean Baptiste.
La peau de mon ventre est devenue translucide.
A l’intérieur, des dizaines de fils s’enroulent et se déroulent autour de mon nombril.
Plus bas, une balançoire grince dans ma jambe droite, et dans la gauche, un orateur illustre à coups de grands gestes sa passion pour les arts martiaux.
Je vibre comme un tambour.
Je m’enfonce un peu plus.
Tel un lierre, je m’accroche aux parois d’un granit noir.
Je glisse et mes mains s’ouvrent libérant un flot de dentelle qui chante notre avenir sur la planète Mars.
Dans ma tête, c’est le chaos, celui de l’exil, de l’amoncellement des richesses chinoises cachées dans la moutarde, du poème gravé le long du canal gris, des péniches pleines de rires d’enfants ou des francs-maçons.
J’en perds l’équilibre, suis propulsée hors des pavés de la place.
Je ne me reconnais plus. Mon corps a enflé.
Ballon, je survole le marché, un euro, un euro ! Ou encore un euro, un euro !
Des ailes me poussent,
Je deviens dragon, celui du Chinois qui surveille jalousement son dépôt d’œuvres contemporaines.
Arrivée près du poste de police, je retombe sur mes pieds et reprends mes esprits.
C’est toujours bien moi, mais
Du dragon me restent quelques écailles que je colle sur mes paumes,
Du ballon, une légèreté que je place sous mes pieds,
Du granit, une force qui s’empare de mes mains,
Du tambour, une pulsation qui gronde comme un flambeau.
Ce soir, le ciel est plein de douceur, je suis toujours assise sur le parvis Saint-Jean Baptiste, je n’ai pas bougé de toute la journée, j’ai faim !

Minou Poznantek

Aujourd’hui je n’ai rien fait

Mais beaucoup de choses se sont faites en moi
Aujourd’hui, je n’ai rien dit
Mais beaucoup de phrases se sont dites en moi
Aujourd’hui j’ai écrit beaucoup de proses, de vers, des histoires de soleil et de voyage
Car beaucoup de proses et de vers se sont déposés en moi
Aujourd’hui je lirai beaucoup de pages encore, la journée n’est pas close
Mais demain combien de pages s’envoleront de moi

Valérie Lotti

Aujourd’hui je n’ai rien fait.
Il n’est pas tout à fait exact de dire que je n’ai rien fait. Mon corps est sorti de la maison à 10h du matin et s’est assis sur l’escalier de l’église, bien décidé à ne rien faire. Ce que j’ai fait à partir de 10h15. Rien dit rien pensé rien bougé. Jusqu’au crépuscule.
Cette journée m’a laissé une fatigue ineffable. Kilo de plume kilo de plomb.
Quand j’y repense sous le soleil couchant, je réalise que beaucoup de choses se sont faites en moi. Dès le départ, un air frais a traversé mes narines et s’est glissé le long de mon pharynx pour aller je ne sais où. Tous mes poils se sont mis au garde-à-vous comme un seul homme, mon sang a cogné mes joues à peine éveillées, mes épaules se sont durcies sous l’écran de ma gabardine. Pendant ce temps, ma moelle osseuse fabriquait courageusement plus de 2 millions de globules rouges par seconde. Un travail éreintant, et moi qui ne faisais rien.
Derrière le temps nuageux qui passait à mon insu, le soleil fulminait en silence. Il a surgi par surprise à 13h et l’air s’est échauffé avec l’ardeur d’une vieille colère bondissant hors de sa cage. La gabardine m’est tombée des épaules, mon corps s’est alangui comme une tulipe adolescente et mes poils se sont recouchés. Flairant l’inattendu, ma langue s’est hasardée sur ma main et les papilles gustatives situées sur ses bas-côtés ont alerté mon lobe temporal quant au gout de sel qu’avait désormais pris ma peau.
À 16h30, un léger bruit a fait vibrer mes tympans, tandis qu’une couleur pâle frôlait ma rétine avec insistance. Mon nerf optique s’est mis en branle et le lobe occipital situé à l’arrière de mon cerveau a dessiné l’image d’un enfant tout petit escaladant l’interminable escalier de l’église. Accroché à la rampe, cet enfant a fixé sur mon visage deux larges yeux noirs avec un timide effroi tout au fond.
Ma bouche s’est légèrement entrouverte. Son coin gauche a vacillé vers le haut, puis l’autre. Un léger tremblement s’est infiltré sous ma cage thoracique.
Et là, ma main droite a frémi. Elle s’est posée sans mots dire sur la tête de ce tout petit enfant. Des cheveux doux et bouclés ont caressé ma paume rêche. Mes doigts ont oscillé de gauche à droite, de droite à gauche. Et puis en rond.
Alors une boule de poils s’est enroulée dans mon ventre, en ronronnant très doucement.

Marianne Prévost


Aujourd’hui je n’ai rien fait
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi
Temps suspendu au fil du balancement
Ciel mouvementé aux clartés fugitives
Miroir en dedans d’une attente indistincte
Attention fébrile au sens encore diffus
À peine effleurée d’un changement radical
L’hirondelle migre où la porte le vent
Ne se souciant ni d’hier ni de demain
Et moi ? vais-je me laisser faire ?

Marie Wallet

Aujourd’hui je n’ai rien fait

Aujourd’hui je n’ai rien fait
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi
Et défaites aussi, peut-être
Mais exprès
Comme un tricot dans lequel on aurait emmêlé
Qui les pinceaux, qui les aiguilles
Et les peurs des garçons
Et les envies des filles.

Amélie Charcosset


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