mardi 18 novembre 2014

Merveilleuse occupation


Merveilleuse occupation

Mercredi 29 octobre 2014 avec O. Salon à la Maison du Livre

d’après la nouvelle éponyme de Julio Cortazàr.
Texte à démarreur : « Quelle merveilleuse occupation que de… » + verbes à l’infinitif. Trois occupations, déclinées en une seule phrase chacune, qui pourraient être indépendantes, la troisième concluant cependant la première.


La première allumette

Quelle merveilleuse occupation de s’étioler à votre fenêtre en contemplant une chouette orangée et les ragondins du marécage, ils vaquent entre la boue et le rocher, tout en se demandant s’il n’est pas temps de se lever pour éteindre le poêle sur lequel chauffe une casserole de liquide dont le croassement crépitant des bulles bouillantes se précise alors qu’il serait peut-être temps aussi d’aller éteindre l’océan, quoique...

Quelle merveilleuse occupation que de surveiller le cramage de l’étang, première étape d’un processus aboutissant à l’incendie de l’océan, un projet certes ambitieux qui nécessite de progresser par étapes, la flaque c’est fait, la fontaine c’est fait, et maintenant le marécage ouf se dit on en essuyant la sueur au front quand surnagent à la surface quelques formes indistinctes recouvertes d’une poudre blême...

Quelle merveilleuse occupation de grimper le flanc de l’Etna, un jerrycan vide sur le dos, de cavaler de quelques dizaines mètres dans son cratère puant l’œuf pourri, tout en toussotant, de récolter du souffre en fusion, de remplir le jerrycan à ras, de remonter en toussant, d’essuyer le torrent de sueur, de gambader dans une descente de gravier calciné, à dévaler enfumée en claironnant à tue-tête - il était un petit pompier oh feu au feu...

Quelle merveilleuse occupation calcinée que de débiter les immenses hêtres brésiliens à la tronçonneuse, à la hache, à une cadence crescendo, pour obtenir 807.000 cure-dents et des poussières dont les extrémités, quand elles seront soufrées, les métamorphoseront en autant de belles allumettes/cacahouètes/c’est chouette...

Quelle merveilleuse occupation de s’enfoncer dans la nuit en levant haut les jambes à chaque pas pour ne pas être capturée par la boue que l’on ne distingue pas, en reprenant son souffle pour ne pas être repéré par les chouettes, s’engloutir dans la nuit avec, comme cap unique, l’étouffé fracas des lames océanes quand bientôt, bientôt, bientôt et de mollarder dans cette satanée boue...

Quelle merveille occupation/stop/là on s’arrête, extrémité des godillots alignée sur le bord la falaise, d’emplir lentement ses poumons du vent salé, et sans sauter faire doucement tomber son sac à dos par terre, d’apercevoir au loin le spectre acier de la lune, d’attendre que la nappe de pétrole noircisse encore l’océan jusqu’au rivage et de gratter précautionneusement la première allumette dans le creux de sa main ! Avant de retourner s’étioler dans votre ferme aux volets disjoints/moussus...

Camille Philibert

Quelle merveilleuse occupation que, dans un quartier fréquenté, intervertir, de nuit de préférence, à moins de disposer d’un matériel couteux et très encombrant, les plaques des noms des rues et, l’opération ainsi réalisée, de se poster ostensiblement à différentes intersections armé d’un plan falsifié de la ville de façon à embrouiller au maximum les trajets des passants, les déroutant pour les étrangers, faisant douter les autres de leurs capacités mentales en entrainant de multiples “Mais enfin, Môssieur, je passe ici tous les jours depuis quarante ans…” et, subrepticement s’écarter en laissant tous ces gens s’invectiver à propos de leur sens de l’orientation et, quelle plus merveilleuse occupation que de se rendre ensuite à la mairie pour dénoncer vertement cette gabegie et d’aller enfin au commissariat pour porter plainte contre ces manifestations intempestives à tous les carrefours du quartier.

Jean Clais

Quelle merveilleuse occupation que d’ôter le t de Cortazar, et le jeter dans un chaudron d’eau bouillante pour en faire jaillir - quel hasard - un corps et du thé.
Quelle merveilleuse occupation que d’accrocher ce corps au hasard d’une exposition où le thé sera servi aux visiteurs férus d’étrangeté.
Quelle merveilleuse occupation que se rire des contraintes et se perdre dans les ratures qui saturent le texte accroché au hasard de cette salle d’exposition littéraire.
Quelle merveilleuse occupation, que d’observer les yeux des visiteurs buter sur les mots et s’empêtrer dans les pâtés d’encre indélébile issus de la pensée ébullitionnaire de Cortazar.

Michèle Poznantek

Quelle merveilleuse occupation que d’essuyer les verres au fond d’un café/d’avoir trop affaire pour pouvoir rêver, de vérifier – après les avoir immergés dans l’eau saturée de liquide vaisselle, frottés intensivement avec la surface dure et légèrement abrasive de l’éponge, rincés délicatement à l’eau filant du robinet, séchés rapidement au torchon doux manié par une patte douce et experte – de vérifier, donc à la lumière de la rampe du comptoir la netteté parfaite du verre, l’absence absolue de traces de doigts, de lèvres, d’orteils ou de patte d’ours.
Quelle merveilleuse occupation que de somnoler à demi sur son tabouret, tout en comptant les morceaux de sucre dans la boule d’inox, les gouttes d’eaux qui tombent dans l’évier, les minutes qui s’écoulent, les cafés qui passent, les ours qui s’enfuient, et de s’ennuyer jusqu’à ce que la porte s’ouvre.
Quelle merveilleuse occupation que de voir quelqu’un entrer – évènement rare -, de sentir monter en soi l’envie de le battre, et de soudain l’emparouiller, l’endosquer contre terre, l’espudriner, le compresser, l’embouler dans un verre ballon, car il faut en finir, de ne pas lui laisser le temps de revivre, d’observer son dépôt au fond du verre, de dégout non feint de jeter le contenu de l’étroit récipient par–dessus son épaule, de laver enfin le verre, de l’essuyer, de vérifier à la lumière implacable de la rampe du comptoir sa parfaite netteté et, mi-chaud, mi-froid, de se mettre à rêver au fond d’un café la probable arrivée d’un ultime ours avant l’heure encore lointaine de la fermeture des tuyaux de l’établissement.

Valérie Lotti


Quelle merveilleuse occupation que de remonter le mécanisme d'un de ces petits jouets de métal peint ou de plastique en forme de scorpion, de main humaine ou encore mieux, de souris, puis de le lâcher brusquement au milieu du salon et de voir la mine ahurie du chat lorsque la bestiole lui passe sous le nez avec un bruit de crécelle.

Quelle merveilleuse occupation que de lancer par la fenêtre des graines de courge, de voir les pigeons et autres espèces volantes se précipiter pour en faire bombance en se battant comme des chiffonniers, d'en profiter pour en tirer les plus gros à la carabine à plombs, histoire de dépolluer l'environnement et en plus de gagner son dîner, et de les préparer en salmis.

Quelle merveilleuse occupation que d'envoyer une lettre de réclamation anonyme au syndic de l'immeuble, de dénoncer des voisins mal intentionnés, de les accuser de tirer inconsidérément sur les oiseaux qui font le charme de la cour et de jouer au bowling dans leur living-room qui est juste au-dessus de votre chambre, de guetter ensuite la réaction justement sévère que le propriétaire ou son représentant ne manquera pas d'avoir, et de vous réjouir de leur mine catastrophée lorsqu'ils quitteront piteusement l'immeuble.

Quelle merveilleuse occupation que de fouiller dans la poubelle pour récupérer quelques trophées parmi les divers objets abandonnés par les ex-voisins, puis de jeter à la place les débris des jouets de métal peint, les os et les plumes des ramiers, les restes de la bouffe du chat, ainsi que le chat lui-même, malencontreusement trépassé des suites de l'ingestion d'une souris mécanique. Ou d'une piqûre de scorpion, peut-être ?

Irène Ruszniewski

Quelle merveilleuse occupation que de découvrir les multiples chemins d’un grand écrivain dans les interstices des mots, inventer une géographie du cœur, obscure et belle, dont les frontières spirituelles mêlent Bruxelles, Paris et Bueno-aires, d’imaginer Julio Cortazar déambulant entre les ordinateurs déroulant sa vie, ses lettres et ses poèmes.
Quelle merveilleuse occupation que de se trouver Bd Arago, observant un homme entrer dans un café, empilant ses tas de sucre en une pyramide, sous l’œil courroucé d’un tablier blanc, de se prendre à rêver qu’il y dépose en son sommet un mince jet de salive dont l’action la fera s’écrouler et se dissoudre dans un mouvement lent et inexorable.
Quelle merveilleuse occupation que d’imaginer cet homme, pour qui « tout ce qui est conventionnel est étranger » découvrir avec horreur que nos merveilleuses occupations usurpent avec humour son lanceur cronopien.

Marie Wallet

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