Merveilleuse occupation
Mercredi 29 octobre 2014 avec O. Salon à la Maison du Livre
d’après
la nouvelle éponyme de Julio Cortazàr.
Texte à démarreur :
« Quelle merveilleuse occupation que de… » + verbes à
l’infinitif. Trois occupations, déclinées en une seule phrase
chacune, qui pourraient être indépendantes, la troisième concluant
cependant la première.
La
première allumette
Quelle
merveilleuse occupation de s’étioler à votre fenêtre en
contemplant une chouette orangée et les ragondins du marécage, ils
vaquent entre la boue et le rocher, tout en se demandant s’il n’est
pas temps de se lever pour éteindre le poêle sur lequel chauffe une
casserole de liquide dont le croassement crépitant des bulles
bouillantes se précise alors qu’il serait peut-être temps aussi
d’aller éteindre l’océan, quoique...
Quelle
merveilleuse occupation que de surveiller le cramage de l’étang,
première étape d’un processus aboutissant à l’incendie de
l’océan, un projet certes ambitieux qui nécessite de progresser
par étapes, la flaque c’est fait, la fontaine c’est fait, et
maintenant le marécage ouf se dit on en essuyant la sueur au front
quand surnagent à la surface quelques formes indistinctes
recouvertes d’une poudre blême...
Quelle
merveilleuse occupation de grimper le flanc de l’Etna, un jerrycan
vide sur le dos, de cavaler de quelques dizaines mètres dans son
cratère puant l’œuf pourri, tout en toussotant, de récolter du
souffre en fusion, de remplir le jerrycan à ras, de remonter en
toussant, d’essuyer le torrent de sueur, de gambader dans une
descente de gravier calciné, à dévaler enfumée en claironnant à
tue-tête - il était un petit pompier oh feu au feu...
Quelle
merveilleuse occupation calcinée que de débiter les immenses hêtres
brésiliens à la tronçonneuse, à la hache, à une cadence
crescendo, pour obtenir 807.000 cure-dents et des poussières dont
les extrémités, quand elles seront soufrées, les métamorphoseront
en autant de belles allumettes/cacahouètes/c’est chouette...
Quelle
merveilleuse occupation de s’enfoncer dans la nuit en levant haut
les jambes à chaque pas pour ne pas être capturée par la boue que
l’on ne distingue pas, en reprenant son souffle pour ne pas être
repéré par les chouettes, s’engloutir dans la nuit avec, comme
cap unique, l’étouffé fracas des lames océanes quand bientôt,
bientôt, bientôt et de mollarder dans cette satanée boue...
Quelle
merveille occupation/stop/là on s’arrête, extrémité des
godillots alignée sur le bord la falaise, d’emplir lentement ses
poumons du vent salé, et sans sauter faire doucement tomber son sac
à dos par terre, d’apercevoir au loin le spectre acier de la lune,
d’attendre que la nappe de pétrole noircisse encore l’océan
jusqu’au rivage et de gratter précautionneusement la première
allumette dans le creux de sa main ! Avant de retourner
s’étioler dans votre ferme aux volets disjoints/moussus...
Camille
Philibert
Quelle
merveilleuse occupation que, dans un quartier fréquenté,
intervertir, de nuit de préférence, à moins de disposer d’un
matériel couteux et très encombrant, les plaques des noms des rues
et, l’opération ainsi réalisée, de se poster ostensiblement à
différentes intersections armé d’un plan falsifié de la ville de
façon à embrouiller au maximum les trajets des passants, les
déroutant pour les étrangers, faisant douter les autres de leurs
capacités mentales en entrainant de multiples “Mais enfin,
Môssieur, je passe ici tous les jours depuis quarante ans…” et,
subrepticement s’écarter en laissant tous ces gens s’invectiver
à propos de leur sens de l’orientation et, quelle plus
merveilleuse occupation que de se rendre ensuite à la mairie pour
dénoncer vertement cette gabegie et d’aller enfin au commissariat
pour porter plainte contre ces manifestations intempestives à tous
les carrefours du quartier.
Jean
Clais
Quelle
merveilleuse occupation que d’ôter le t de Cortazar, et le jeter
dans un chaudron d’eau bouillante pour en faire jaillir - quel
hasard - un corps et du thé.
Quelle
merveilleuse occupation que d’accrocher ce corps au hasard d’une
exposition où le thé sera servi aux visiteurs férus d’étrangeté.
Quelle
merveilleuse occupation que se rire des contraintes et se perdre dans
les ratures qui saturent le texte accroché au hasard de cette salle
d’exposition littéraire.
Quelle
merveilleuse occupation, que d’observer les yeux des visiteurs
buter sur les mots et s’empêtrer dans les pâtés d’encre
indélébile issus de la pensée ébullitionnaire de Cortazar.
Michèle
Poznantek
Quelle
merveilleuse occupation que d’essuyer les
verres au fond d’un café/d’avoir trop affaire pour pouvoir
rêver, de vérifier – après les avoir immergés dans l’eau
saturée de liquide vaisselle, frottés intensivement avec la surface
dure et légèrement abrasive de l’éponge, rincés délicatement à
l’eau filant du robinet, séchés rapidement au torchon doux manié
par une patte douce et experte – de vérifier, donc à la lumière
de la rampe du comptoir la netteté parfaite du verre, l’absence
absolue de traces de doigts, de lèvres, d’orteils ou de patte
d’ours.
Quelle
merveilleuse occupation que de somnoler à demi sur son tabouret,
tout en comptant les morceaux de sucre dans la boule d’inox, les
gouttes d’eaux qui tombent dans l’évier, les minutes qui
s’écoulent, les cafés qui passent, les ours qui s’enfuient, et
de s’ennuyer jusqu’à ce que la porte s’ouvre.
Quelle merveilleuse occupation que de voir quelqu’un entrer – évènement rare -, de sentir monter en soi l’envie de le battre, et de soudain l’emparouiller, l’endosquer contre terre, l’espudriner, le compresser, l’embouler dans un verre ballon, car il faut en finir, de ne pas lui laisser le temps de revivre, d’observer son dépôt au fond du verre, de dégout non feint de jeter le contenu de l’étroit récipient par–dessus son épaule, de laver enfin le verre, de l’essuyer, de vérifier à la lumière implacable de la rampe du comptoir sa parfaite netteté et, mi-chaud, mi-froid, de se mettre à rêver au fond d’un café la probable arrivée d’un ultime ours avant l’heure encore lointaine de la fermeture des tuyaux de l’établissement.
Quelle merveilleuse occupation que de voir quelqu’un entrer – évènement rare -, de sentir monter en soi l’envie de le battre, et de soudain l’emparouiller, l’endosquer contre terre, l’espudriner, le compresser, l’embouler dans un verre ballon, car il faut en finir, de ne pas lui laisser le temps de revivre, d’observer son dépôt au fond du verre, de dégout non feint de jeter le contenu de l’étroit récipient par–dessus son épaule, de laver enfin le verre, de l’essuyer, de vérifier à la lumière implacable de la rampe du comptoir sa parfaite netteté et, mi-chaud, mi-froid, de se mettre à rêver au fond d’un café la probable arrivée d’un ultime ours avant l’heure encore lointaine de la fermeture des tuyaux de l’établissement.
Valérie
Lotti
Quelle merveilleuse
occupation que de remonter le mécanisme d'un de ces petits jouets
de métal peint ou de plastique en forme de scorpion, de main humaine
ou encore mieux, de souris, puis de le lâcher brusquement au milieu
du salon et de voir la mine ahurie du chat lorsque la bestiole lui
passe sous le nez avec un bruit de crécelle.
Quelle merveilleuse
occupation que de lancer par la fenêtre des graines de courge, de
voir les pigeons et autres espèces volantes se précipiter pour en
faire bombance en se battant comme des chiffonniers, d'en profiter
pour en tirer les plus gros à la carabine à plombs, histoire de
dépolluer l'environnement et en plus de gagner son dîner, et de les
préparer en salmis.
Quelle merveilleuse
occupation que d'envoyer une lettre de réclamation anonyme au syndic
de l'immeuble, de dénoncer des voisins mal intentionnés, de les
accuser de tirer inconsidérément sur les oiseaux qui font le charme
de la cour et de jouer au bowling dans leur living-room qui est
juste au-dessus de votre chambre, de guetter ensuite la réaction
justement sévère que le propriétaire ou son représentant ne
manquera pas d'avoir, et de vous réjouir de leur mine catastrophée
lorsqu'ils quitteront piteusement l'immeuble.
Quelle merveilleuse
occupation que de fouiller dans la poubelle pour récupérer quelques
trophées parmi les divers objets abandonnés par les ex-voisins,
puis de jeter à la place les débris des jouets de métal peint, les
os et les plumes des ramiers, les restes de la bouffe du chat, ainsi
que le chat lui-même, malencontreusement trépassé des suites de
l'ingestion d'une souris mécanique. Ou d'une piqûre de scorpion,
peut-être ?
Irène Ruszniewski
Quelle merveilleuse
occupation que de découvrir les multiples chemins d’un grand
écrivain dans les interstices des mots, inventer une géographie du
cœur, obscure et belle, dont les frontières spirituelles mêlent
Bruxelles, Paris et Bueno-aires, d’imaginer Julio Cortazar
déambulant entre les ordinateurs déroulant sa vie, ses lettres et
ses poèmes.
Quelle merveilleuse
occupation que de se trouver Bd Arago, observant un homme entrer dans
un café, empilant ses tas de sucre en une pyramide, sous l’œil
courroucé d’un tablier blanc, de se prendre à rêver qu’il y
dépose en son sommet un mince jet de salive dont l’action la fera
s’écrouler et se dissoudre dans un mouvement lent et inexorable.
Quelle merveilleuse
occupation que d’imaginer cet homme, pour qui « tout ce qui
est conventionnel est étranger » découvrir avec horreur que
nos merveilleuses occupations usurpent avec humour son lanceur cronopien.
Marie Wallet
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