Contrainte
poposée par Jacques Jouet pour le groupe des « pas sages »
du
samedi 1 novembre 2014.
D’après
« L’autre ciel » de Cortazar :
écrire un anneau de Mœbius, sous forme de conte bref.
écrire un anneau de Mœbius, sous forme de conte bref.
Pour
cela, choisir Bruxelles et une autre ville que l’on connait bien.
Nommer des étapes en changeant de lieu et de nom de lieu, lettre par lettre ou par syllabe.
Y faire se dérouler des évènements, vécus par de beaux personnages.
Nommer des étapes en changeant de lieu et de nom de lieu, lettre par lettre ou par syllabe.
Y faire se dérouler des évènements, vécus par de beaux personnages.
Contraintes :
1)
Passez de Bruxelles à une autre ville que je connais bien
2) Avoir
diverses étapes nommées par des mots inventés qui passeront peu à
peu de Bruxelles à cette autre ville.
3)
Prêter attention au développement des personnages
4)
Tentative de phrase unique
D’après « L’autre
ciel », de Julio Cortázar, conte bref ou micronouvelle qui
fait passer de Bruxelles à une ville réelle (ou l’inverse) en
enlevant à chaque étape une lettre du premier nom de ville et en
ajoutant une de celui du dernier, d’une personne à un personnage
(ou l’inverse).
À
supposer qu’on me demande ici de prouver mon innocence quant au
meurtre commis la semaine dernière à Bruxelles, je répondrais que
même s’il est vrai que l’on m’a vue sortir de l’Espérance
le samedi 1er novembre aux alentours de 17h30 alors qu’un
cadavre a été retrouvé le lendemain matin dans une chambre à
l’étage, je peux tout à fait m’innocenter n’ayant
premièrement pas mis les pieds dans cette chambre (j’étais en bas
la plupart du temps et vaquais à des occupations intellectuelles
intenses) mais surtout, il est géographiquement impossible que j’aie
effectué ce meurtre entre une heure et deux du matin (car il parait
que c’est à cette heure-là que l’homme est décédé) puisque
j’avais passé la porte à 17h30, comme précédemment mentionné,
embrassant au préalable mon ami JP, jeune homosexuel japonais très
attendrissant, qui pourra témoigner de mes paroles à savoir Je vais
chez Sruxelles (une boutique qui vend de l’excellent sucre et un
peu de sel), je vais chez Sruxelles, donc, j’ai des courses à
faire et lui de rétorquer Que vas -tu acheter et moi de répondre Du
sel et du.. mais je n’ai pas eu le temps de lui dire la suite car
la porte a claqué et le vent violent m’a emportée dans la rue
Sraxelles, celle-là même où je voulais aller, ça tombait bien
merci le vent, pour soi-disant y acheter du sel et du sucre alors
qu’en réalité c’est la jolie Mirabelle que je voulais voir et
regarder et dévorer son regard bleu et doré et de plus en plus doré
quand elle se met à parler de sucre avec ce zozotement
particulièrement excitant qui, je l’avoue, me donne envie de la
prendre et l’emmener à l’étage de l’Espérance pour voir si
mes yeux à moi se doreraient au contact de sa peau salée/sucrée
sauf qu’elle ne travaillait pas ce jour-là donc je suis sortie
dépitée de la boutique pour me diriger vers le métro Srabelle, au
bout de la rue Sraxelles, qui m’a provoqué un picotement au ventre
car quand je lis un mot qui finit par « E L L E », ça me
fait trop penser à Mirabelle et j’ai l’impression qu’elle est
là ou qu’elle me suit et je me suis retournée dans les escalators
mais elle n’y était pas évidemment et au lieu de sa douce main
sur ma joue, c’est un flyer que j’ai reçu qui disait qu’il y
avait une soirée SM animée par JM à la boite de nuit Straboule et,
bien que j’apprécie énormément JM et que nous ayons passé de
folles soirées ensemble, je n’étais vraiment plus d’humeur à
me rendre à ce genre de soirées, le Straboule étant
majoritairement fréquenté par des hommes alors que moi c’est pas
ce qui m’intéresse mais bien Mirabelle qui n’aime pas ces
soirées-là en plus parce qu’on ne doit pas trop s’habiller et
qu’elle, elle est plutôt strass et paillettes alors je lui ai dit
qu’on a qu’a inventé notre propre lieu qu’on appellerait le
Strasboule, pour le côté stras et elle a ri donc elle était
d’accord pour qu’on l’ouvre bientôt et qu’il soit tout bleu
parce que le rouge c’est bateau et pas le bleu qui sent bon, en
plus, le bleu, ce qui, au Strasboule, nous importe autant que la
musique d’ambiance et la permission de fumer à l’intérieur qui
a été acceptée (phénomène fou à Strasbourg) pour le 12, rue du
Faubourg de Saverne, en face de l’arrêt Faubourg de Saverne du
tram C à 67000 Strasbourg, bienvenue. Voilà ce que je répondrais à
supposer que.
Laurence
Magnée
De
Bruxelles à Vaulx Milieu
Il
avait envie de s’évader de Bruxelles.
En
sortant de la chocolaterie, Charlie se dirigea résolument vers la
Porte de Blaxelles, où il comptait prendre le métro, direction
« Gare du Milieu ».
L’escalier
mécanique étant arrêté, en ce jour féri, il descendit posément,
une à une, les marches jusqu’au quai, où un panneau lumineux
indiquait le nom du prochain arrêt sur la ligne : « Val
des Baux ».
Une
rame se présenta, avec sur son fronton, le nom « AXEL » :
Charlie entra dans la voiture de queue.
Le
métro démarra mais, il avait à peine pénétré dans le tunnel que
l’éclairage de la rame s’éteignit et le métro stoppa
brutalement : noir total !
Puis,
avec l’éclairage de secours, la rame redémarra et avança
lentement (une éternité) : cela laissait le temps à Charlie
d’engloutir nerveusement la moitié de son paquet de bonbons au
chocolat noir.
Dans
la pénombre, il lui sembla que la couleur des sièges et celle des
parois de la rame avaient changé
Cela
se confirma, lorsque le métro entra, avec lenteur, dans la lumière
crue de la station suivante.
Tout
était changé ! Les sièges n’étaient plus jaunes mais
bleus : ils n’étaient plus en moleskine mais en tissu.
Et
Willy se trouvait maintenant dans la voiture du milieu de la rame !
Sur
les murs de la station, il pouvait lire le nom « Vaulx du
Mal », alors qu’il croyait être à « Val des Baux » !
Un
peu perdu et un tantinet inquiet, Willy descendit sur le quai. IL ôta
le heaume de son scaphandre pour mieux respirer (il ne savait plus du
tout à quel moment il avait revêtu cet accoutrement…)
D’un
pas lourd, il se dirigea vers le bout du quai et lorsqu’il parvint,
au niveau de l’entrée du tunnel suivant, la rame du métro avait
déjà disparu dans l’obscurité.
Willy
emprunta l’escalier roulant où une flèche indiquait « Sortie
Place de la gare ».
Aux
deux tiers de son parcours, l’escalier se poursuivait par un chemin
empierré à forte pente, que Willy avait du mal à gravir avec ses
bottes lestées de plomb.
Il
poursuivit son cheminement vers la sortie.
Parvenu
dans le hall de la station, Billy vit au-dessus du guichet de verre,
un caisson lumineux avec la mention :
« Gare
du Milieu – Station Vaulx du Mal » et juste au-dessous, gravé
sur la vitre : « VAULX MILIEU »
Billy,
toujours sur ses gardes, sortit de la gare et déboucha sur la
placette qu’il n’eut qu’à traverser pour entrer au Café de la
Gare : il avait besoin d’un remontant.
Tout
en réajustant son ceinturon sur ses hanches et l’étui de son
révolver sur sa jambe, il s’avança vers le comptoir : ses
éperons claquaient sur le sol du bar.
« Un
rye ! », lança-t-il au patron, qui rangeait des verres au
bout du comptoir.
Wana
Il
faut éliminer le lego prononce de sa voix rouge le lama laineux dans
un abattoir de moutons situé à Bruxelles, rue de l’abattoir
justement. Il indique de son sabot une direction qui pourrait
vaguement être l’Est. Tope là, se disent moutonnes et moutons en
s’échappant de l’abattoir la nuit tombée et cavalant comme des
bœufs dans des passages pavés. Ils se dirigent d’un troupeau d’un
seul vers le village de Bruxlesc, charmante bourgade en lisière de
Tchéquie où ils font remplir l’abreuvoir d’aquavit qu’ils
boivent avec des roseaux en guise de pailles, ils se ruminent
l’alcool, se régalent. Une lune acier pointe son nez dans l’aube
de Brulesch quand les doigts de rose de la susdite les font émerger
d’un sommeil plombé. Le troupeau sur la route, again, the road
poussiéreuse qui passe par Brulshcho, autre charmante bourgade
turque où l’on compte les Arméniens sur le moignon d’une main.
Soulés d’herbes fraiches dopées aux edelweiss de prairie,
moutonnes et moutons décident d’un commun accord du bélier –
c’est la bête à cornes qui trace en éclaireur qui fait boussole
dans cette histoire, ils bifurquent légèrement par le Sud vers
Brushchom, bourgade pakistanaise extrêmement paisible depuis que Ben
Laden avait été effacé du coin. Quand voilà que déjà apparaît
le ville frontière de Bruhcoml, ce qui n’est pas si loin de
Buhcomlu, charmante bourgade en contrefort des raideurs immaculées
de l’Himalaya, le troupeau passe la nuit dans un temple où le
dialogue des karmalites bat son plein depuis plusieurs kalpas et où
ils eurent quelques difficultés à faire remplir l’abreuvoir de
bière d’orge fermentée parfumée au beurre de yack rance. À cet
endroit, précisément, à la grande surprise du troupeau, une
émissaire du lama les avait précédés pour leur tondre la laine
sur le ventre et rappeler la sphinxerie du maitre tibétain,
sphinxerie qu’avec leurs cervelles de moineau à quatre pattes ils
avaient oublié. L’émissaire répète de sa voix de stentor :
-Il faut éliminer le lego. Ils miaulèrent d’un seul mugissement,
car ce troupeau, précisons-le, ami-e lectrice ou lecteur, ne bêlait
pas. Ils sortaient de leurs gosiers d’herbivores des sonorités
étranges, rappelant les cloches d’alpages mixées aux cornemuses à
gaz et à plusieurs tuyaux. Bumoclun se traversa d’une traite de
sabot, c’était évidemment une charmante bourgade, ce qui
commençait à les brouter sévère, quand enfin essoufflés ils
débouchent à 3751 mètres au canyon de Chumlong dont on leur avait
tant vanté les vents à décorner les yacks, et s’ils avaient des
cornes de boucs, elles se seraient irrémédiablement envolées
jusqu’au Pacifique. Enfin, ils découvrent une immense pyramide
noire et verticale Chomolunga, et ils sont très déçus de ne pas y
trouver le parc à Légo promis par le lama.
Camille
Philibert
Chocolat viennois
et maitrise de soi
et maitrise de soi
Je
revenais d’un court séjour à Durbuy (la plus petite ville du
monde) où Alain m’avait initiée à la dégustation-consommation
de chocolats chauds.
Le
lendemain, atelier d’écriture à DurbYork-Babel-le, où j’ai
commandé un chocolat viennois, histoire d’encore un peu arrondir
mon poids d’orque, sur le cadran de ma petite balance.
Mais
soudain, cette expérience se révèle plus riche que prévu :
tous mes doutes me lâchent et je me retrouve dans la célèbre
grande machine à explorer le temps de la bibliothèque d’York. Je
me surprends à écrire mes mémoires en sirotant un délicieux lait
macchiatto.
Demain
surement, les réformateurs (de la langue) ajouteront des « New »
partout et nous nous retrouverons, Alain et moi, à New York, en
train de compulser des liseuses, e-books, et autres livres
électroniques en buvant de l’eau. Pétillante, surement !
Céline
Hologne
Bruxelles
(nouvelle Brüsel).
Dr
Kronop, magnétiseur. La plaque de cuivre qu’on avait négligé de
frotter au miror depuis trop longtemps ne se laissait pas aisément
déchiffrer à l’entrée du passage Nord, côté rue Neuve. Un air
de XIXème.
Le
docteur, originaire de Ruxelles, ou né rue Xelles à Ixelles – son
passé était mal connu et l’homme n’avait pas d’intimes qui
pussent donner quelques renseignements sûrs sur son parcours –
était reconnu pour soulager les troubles de la personnalité.
Il
avait assis sa réputation à l’orée des années 50, on
venait à la capitale le consulter depuis les coins les plus reculés
de la Belgique : Ielles, Rielles et même Arielles, - cités
obscures qui figuraient à peine ou pas même sur les cartes
officielles du pays.
La
dernière fois qu’un quidam l’aperçut, ce fut porte de
Hal, lieu passager, s’il en fut.
Certains
prétendirent l’avoir croisé successivement à Avrilles et Ariles.
Un de ses patients qui souffrait de schizophrénie affirma même
l’avoir rencontré à Aries, à la frontière franco-belge… Mais
dans quelle vie ?…
On
évoqua la bourgade d’Aris (ou de Pâhris ?), dans les
Ardennes, un pays où l’on n’arrive jamais.
On
perdit bientôt sa trace.
Un
certain Schuitten l’aurait identifié sans certitude sur un cliché
pris sur un des quais de la station Arts et Métiers d’un métro
capital. L’inspecteur Peeters l’avait photographié penché sur
un des hublots cerclés de cuivre comme à la recherche d’un objet
– clefs ? passeport ? titre de transport ? –
tandis qu’il marmonnait : « Je est un autre. ».
L’enquête,
faute d’éléments suffisants, fut classée sans suite. Un homme en
fuite finit par lasser…
Depuis,
quelqu’un a peut-être repéré le facteur Cronope. L’homme,
répondant vaguement à un signalement donné par des journaux déjà
anciens, se tenait penché sur un miroir du Procope, à Paris. Pas de
reflet dans la glace d’Aragon. Le témoin choisit de n’en rien
dire, il venait de recevoir le prix Nobel de littérature.
Sources :
François Schuitten et Benoît Peeters, Les
Cités obscures.
Valérie Lotti
Valérie Lotti
Nouvelle
toponymique
- Marcher dans Naples, c'est sacrément
harassant, ça se sent dans les jambes, halte, j'arrête, râla la
Jeanne, en jetant à terre le sac de vacances, bras ballants,
échevelée, pantelante. Parlez de balade, escalader les pentes
escarpées, errer dans des venelles sans clarté, se perdre dans ce
dédale sans même pénétrer dans l'antre de Caravage, carrément
fermé, c'est râlant, marre.
Et le grand Fred - avec sa grande
carcasse de flemmard et ses grandes pattes, ça ne le dérange pas,
d'arpenter les pavés de lave - la regarda avec flegme, et demanda :
- Tu veux aller à la mer, prendre le
bateau, manger des glaces à Nauples, près du temple de Vénus,
là-bas c'est très beau, ça date du temps des grecs, tu verras, la
lune se levant sur Nauples, c'est un spectacle sans égal. Faut aller
prendre la Cumana à la gare du centre.
- Tu m'embêtes avec la mer, je préfère
prendre la Phlegrea et aller à Naules, près du Vésuve et des
champs de lave, ça, c'est des parages enchanteurs.
Bon bon, dit Fred, toujours aussi
flegmatique, comme tu voudras. Et ils allèrent à Naules. C'était
dans la montagne, la visibilité n'était pas excellente, bref, ils
se perdirent. Errant dans la nuit sur des routes en lacets sans
aucune indication.
Mais c'est pas possible, mais c'est pas
possible, gémissait la Jeanne en se tordant les mains, on va pas
rouler comme ça toute la nuit, sans savoir où on va, ni même où
on est.
Bah, on finira bien par arriver quelque
part, lâcha Fred, fataliste.
Et c'est en effet ce qui se passa. Au
petit matin, ils arrivèrent à Nauxes. Ah oui, et ou c'est donc, ça
Nauxes ? Un bled paumé dans la montagne, pas même un bistrot
ou un endroit pour se restaurer.
En tout cas il fait plus frais ici, dit
Fred, ça devrait te plaire, toi qui te plaignais tout le temps de la
chaleur.
Mais la Jeanne, quand elle ne se plaint
pas de la chaleur, c'est qu'elle se plaint d'autre chose.
Mais on est beaucoup trop au nord ici,
et puis y a pas un rat dans ce bled, comment on va faire ? Ils
finirent par dénicher un autochtone, genre vieux berger typique, qui
leur indiqua vaguement une direction, et reprirent leur route
hasardeuse.
Puisqu'on est partis vers le nord,
allons résolument vers le nord, décida Fred. On n'a qu'à aller
voir mon oncle Fernand à Nauxelles, il nous accueillera bien, on
sera comme des coqs en pâte. Nauxelles, dans l'Aveyron, mais ça va
pas, tu parles d'un voyage, je prends pas mes vacances pour aller
voir ta famille dans l'Aveyron.
L'oncle Fernand, d'humeur joviale, les
accueillit à bras ouverts. On était en pleine saison des
champignons, et il y avait des bolets à foison. Le problème, c'est
que les bolets ne sont pas tous bons, et c'est ainsi qu'ils se
retrouvèrent tous, la Jeanne, le Fred et le tonton, à l'hôpital de
Nuxelles, qui était le plus proche. L'hôpital de Nuxelles, il faut
le dire, n'a pas une réputation irréprochable, et ils y laissèrent
donc la santé et la vie. Tués nets, muets à jamais. Comme ils
étaient belges, sauf l'oncle Fernand, leurs corps furent rapatriés.
Ils sont enterrés au cimetière de Ruxelles, quelque part dans la
banlieue de Bruxelles.
Irène Ruszniewski
Fatale traversée
I
- Naples
-
Marcher dans Naples,
c'est sacrément harassant, ça casse les pattes, halte, j'arrête,
râla la Jeanne, en jetant à terre le sac de vacances et le reste
des bagages, bras ballants, échevelée, pantelante. Parlez de
balade, escalader les pentes escarpées, errer dans des venelles sans
clarté, s'écarter des vespas pétaradantes, se perdre dans ce
dédale sans même aller regarder les Caravage, car c'est fermé,
gardes en grève, c'est gavant, marre de ce plan de merde.
Le
grand Fred, avec sa grande carcasse de flemmard et ses grandes
jambes, ça ne le dérange pas, d'arpenter les pavés de lave. La
Jeanne, ce calme, ça l'énerve franchement, c'est dans son
tempérament.
Se
halèrent pesamment avec armes et bagages vers la terrasse de « La
Speranza ». Le bar « La Speranza », L'Espérance, à
Naples,
vers Sant'Agata, c'est pas la classe. Devant la taverne, des mastars
se castagnent en cadence, avec des barres de fer et des tas de pavés,
gare à la casse.
Se
casèrent à l'écart de la bagarre. Fred regarda avec flegme sa
femme exaspérée, et demanda :
II
- de Nauples à Nauxelles
-
Tu veux aller à la mer, manger des glaces à Nauples,
près du temple de Vénus, ? C'est fameux. Et Nauples,
c'est très beau, ça date du temps des grecs. Tu verras, la lune se
levant sur la rade de Nauples
est un spectacle sans égal. Faut aller prendre la Cumana à la gare
du centre jusqu'à Cumes et traverser en bateau après, un régal.
-
Tu m'embêtes avec la mer, je préfère prendre la Phlegrea et aller
à Naules,
près du Vésuve et des champs phlégréens, ça, c'est une place à
la hauteur, avec des eaux chaudes en vasques naturelles, ça te rend
la santé, c'est fabuleux, un rêve.
Elle
est fada, pense Fred en a
parte, elle exècre
la chaleur et elle veut se taper les cratères ! Bah, ça la
regarde… Fred est un mec arrangeant.
-
D'ac, renâcle quand même un peu Fred, avec un beau détachement,
c'est tes vacances, ça sera ce que tu préfères. Dans le car à
camper, en avant, la phlegrea ne va plus par là, d'après la carte.
Et
allèrent à Naules.
En passant, c'est quelque part dans les Abruzzes, que je sache, pas
près du Vésuve. Pas le trajet de la Phlegrea en effet. Dur à
détecter, la vue dans ces parages n'est pas très dégagée, bref,
s'égarèrent. Brusquement, du crépuscule brumeux émergea en face
la haute masse d'un car.
-
À gauche, va à gauche, hurla Jeanne glacée de terreur, t'as manqué
de me tuer, quel emmanché ! Persévérèrent à errer
lentement dans les ténèbres, sur des chaussées taraudées de
crevasses, de lacet en lacet, sans aucune pancarte.
-
C'est nul, c'est nul, c'est pas acceptable, pleura la Jeanne en
s'arrachant les cheveux, je ne veux pas passer des heures à tanguer
dans ce bus, sans but, sans même un aperçu de l'emplacement, là,
c'est pas sur la carte.
-
Bah, ça va sûrement mener quelque part, lâcha Fred, fatal.
Et
en effet. Après quelques heures à déambuler au hasard,
débarquèrent, pas à Naules,
à Nauxes.
Ah, et ça perche quelque part, Nauxes ?
Un bled paumé dans le désert, pas même un café, une devanture de
bazar avec quelques trucs à becter.
-
C'est de la chance, c'est nettement plus aéré par là, lâcha Fred
avec allant, assurément ça va t'agréer, admets-le, tu détestes
tant la chaleur. Cesse un peu de te lamenter. Et mets un pull, tu vas
attraper un rhume.
Cependant
la Jeanne, quand elle ne se lamente pas à cause de la chaleur, c'est
qu'elle se lamente à cause d'autres trucs.
-
C'est pas seulement ça, c'est que ce n'est plus assez au sud, tu
avances à l'envers exprès, et pas un rat dans ce bled, ça va pas
s'arranger, tu fabules, qu'est-ce que tu peux effectuer de plus, dans
le genre gaffe absurde ?
Quand
elle parle avec rage, elle met ses phrases en vrac.
-
Tu veux une baffe ? Tu me gaves avec le sud ! Même le
grand Fred peut s'énerver.
Après
quelques recherches, repérèrent un naturel, une créature du cru
genre rude berger marqué par les ans, lequel leur ébaucha vaguement
un trajet éventuel. Regagnèrent le bus et rentamèrent leur avance
hasardeuse.
-
Vu que le sud, c'est râpé, faut aller franchement autre part,
trancha Fred. Je t'emmène chez pépé Fernand à Nauxelles,
ça sera épatant, tu verras, le pépé va te gâter, te gaver de
pâté. Ça va être très amusant.
-
Nauxels,
dans le Cantal, ça va pas, tu parles d'une aventure, je prends pas
mes vacances dans le but d'aller éplucher des patates chez un pépé
dans le Cantal.
-
Pas Nauxels
dans le Cantal, eh, banane, Nauxelles,
deux L-E-S, dans l'Ardèche, nettement plus fun, tu ne penses pas ?
Le
pépé Fernand, brave gars ventru d'heureuse nature et d'humeur
allègre, les hébergea et les fêta dans les grandes largeurs. Un
été chaud, quelques averses, ça génère affluence de cèpes et de
chanterelles, presque avec excès. Le tracas, c'est que les cèpes,
ce n'est pas sans danger, avalèrent par erreur un cèpe purulent,
espèce rare et très vénéneuse. Et plus mûr est le cèpe, plus
dure sera la chute. En restèrent sur le carreau et durent être
transférés d'urgence en ambulance, la Jeanne, le Fred et le pépé,
au…
III
- de Nuxelles à Bruxelles
…Centre
de cure de Nuxelles,
c'est le plus près du secteur. Le centre de cure de Nuxelles
est réputé peu sûr. Nullement luxueux, un pullulement de germes,
et même des puces sur les murs, je te jure, rudement dégueu, ce
truc, j'en reste sur le cul. C'est ce que prétendent les rumeurs.
Le
pépé, en sueur, exsude du verjus, expulse du pus. Le grand Fred,
vert de peur, se sent plus que brumeux. Elle, ses lèvres pulpeuses
devenues bleu de Prusse, semble perdue.
Durent
dégueuler sévèrement, entubés sur un tube de verre, récurés
jusqu'en luette. Vécurent en preux cette épreuve, éructèrent des
flux de jus brun, guère fructueusement : leurs ulcères
crevèrent, leurs pustules se percèrent, et nul remède ne put les
épurer des humeurs délétères. Décédèrent en quelques heures.
Un éternuement et Urgh ! Plus de jus. Tués nets, éternellement
muets. Nul futur, futur nul.
Quel
revers funeste ! Quel échec cruel !
Le
pépé fut enterré presque secrètement.
Les
deux jeunes décédés, nés sujets belges, furent prestement emmenés
en bus vers Uxelles,
leur bled, très près de Bruges, leurs restes scellés en une cuve
de grès. Le bus d'enterrement dut endurer une tempête ubuesque, des
vents hurleurs. Des nuées cendreuses pleut un déluge sulfureux, du
creux des fleuves embus se déverse une crue grumeleuse sur l'étendue
détrempée. Des dunes fume une brume perlée d'écume. Les freux
zèbrent les nues, leurs ululements lugubres, dénués de pudeur,
semblent célébrer ces peu justes décès. Persécutés jusque vers
le sépulcre. Le bus n'en peut plus,
trébuche, s'évertue,
les pneus luttent éperdument sur le revêtement défectueux…
Uxelles, Uxelles
est en vue.
Uxelles,
septembre. Ernest, le frère de Fred, revenu exprès de Prusse, en
fureur, décrète que c'est un meurtre et veut une enquête. Les
restes, enterrés près de leurs père et mère, furent exhumés des
terres meubles du tumulus d'Uxelles
et dépêchés vers le Ruxelles
Center, célèbre centre de recherche et d'étude des structures
secrètes des cellules et des germes. Un scrupuleux check-up fut
effectué. Seulement ce fut superflu, le cèpe purulent, Cepus
putrescens, fut
décrété seul pécheur en cette querelle.
Le
Centre refuse usuellement de rendre les squelettes. Ce fut dur de les
récupérer. Le frère, plus têtu qu'une mule, dut tempêter, héler
les télés, se mettre en grève sur le muret d'entrée de Ruxelles,
créer une émeute.
Rudement récusé, le Centre dut céder.
Et
les humbles défunts purent rentrer chez eux. Leurs restes furent
brûlés, leurs cendres en des urnes eurent leur funèbre sépulture
en leur demeure, sur le buffet, 2 rue Jules Lejeune, Uccle,
Bruxelles.
Une messe fut célébrée en le temple de Ste Gudule. Deux bustes
furent sculptés, une stèle fut dressée sur un tertre herbu, drève
du Duc, vers le sud-est de Bruxelles.
Sur cette stèle peut être lu : « Vécurent peu, furent
extrêmement regrettés, fureteur généreux, versez un pleur sur
eux. »
N'empêche,
sûr qu'eussent détesté cèpes et truffes, eussent pu écluser plus
d'une Gueuze Bellevue, le must de Bruxelles.
Irène Ruszniewski
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