mardi 18 novembre 2014

Anneau de Mœbius


Contrainte poposée par Jacques Jouet pour le groupe des « pas sages »
du samedi 1 novembre 2014.

D’après « L’autre ciel » de Cortazar :
écrire un anneau de Mœbius, sous forme de conte bref.
Pour cela, choisir Bruxelles et une autre ville que l’on connait bien.
Nommer des étapes en changeant de lieu et de nom de lieu, lettre par lettre ou par syllabe.
Y faire se dérouler des évènements, vécus par de beaux personnages.

Contraintes :
1) Passez de Bruxelles à une autre ville que je connais bien
2) Avoir diverses étapes nommées par des mots inventés qui passeront peu à peu de Bruxelles à cette autre ville.
3) Prêter attention au développement des personnages
4) Tentative de phrase unique

D’après « L’autre ciel », de Julio Cortázar, conte bref ou micronouvelle qui fait passer de Bruxelles à une ville réelle (ou l’inverse) en enlevant à chaque étape une lettre du premier nom de ville et en ajoutant une de celui du dernier, d’une personne à un personnage (ou l’inverse).


À supposer qu’on me demande ici de prouver mon innocence quant au meurtre commis la semaine dernière à Bruxelles, je répondrais que même s’il est vrai que l’on m’a vue sortir de l’Espérance le samedi 1er novembre aux alentours de 17h30 alors qu’un cadavre a été retrouvé le lendemain matin dans une chambre à l’étage, je peux tout à fait m’innocenter n’ayant premièrement pas mis les pieds dans cette chambre (j’étais en bas la plupart du temps et vaquais à des occupations intellectuelles intenses) mais surtout, il est géographiquement impossible que j’aie effectué ce meurtre entre une heure et deux du matin (car il parait que c’est à cette heure-là que l’homme est décédé) puisque j’avais passé la porte à 17h30, comme précédemment mentionné, embrassant au préalable mon ami JP, jeune homosexuel japonais très attendrissant, qui pourra témoigner de mes paroles à savoir Je vais chez Sruxelles (une boutique qui vend de l’excellent sucre et un peu de sel), je vais chez Sruxelles, donc, j’ai des courses à faire et lui de rétorquer Que vas -tu acheter et moi de répondre Du sel et du.. mais je n’ai pas eu le temps de lui dire la suite car la porte a claqué et le vent violent m’a emportée dans la rue Sraxelles, celle-là même où je voulais aller, ça tombait bien merci le vent, pour soi-disant y acheter du sel et du sucre alors qu’en réalité c’est la jolie Mirabelle que je voulais voir et regarder et dévorer son regard bleu et doré et de plus en plus doré quand elle se met à parler de sucre avec ce zozotement particulièrement excitant qui, je l’avoue, me donne envie de la prendre et l’emmener à l’étage de l’Espérance pour voir si mes yeux à moi se doreraient au contact de sa peau salée/sucrée sauf qu’elle ne travaillait pas ce jour-là donc je suis sortie dépitée de la boutique pour me diriger vers le métro Srabelle, au bout de la rue Sraxelles, qui m’a provoqué un picotement au ventre car quand je lis un mot qui finit par « E L L E », ça me fait trop penser à Mirabelle et j’ai l’impression qu’elle est là ou qu’elle me suit et je me suis retournée dans les escalators mais elle n’y était pas évidemment et au lieu de sa douce main sur ma joue, c’est un flyer que j’ai reçu qui disait qu’il y avait une soirée SM animée par JM à la boite de nuit Straboule et, bien que j’apprécie énormément JM et que nous ayons passé de folles soirées ensemble, je n’étais vraiment plus d’humeur à me rendre à ce genre de soirées, le Straboule étant majoritairement fréquenté par des hommes alors que moi c’est pas ce qui m’intéresse mais bien Mirabelle qui n’aime pas ces soirées-là en plus parce qu’on ne doit pas trop s’habiller et qu’elle, elle est plutôt strass et paillettes alors je lui ai dit qu’on a qu’a inventé notre propre lieu qu’on appellerait le Strasboule, pour le côté stras et elle a ri donc elle était d’accord pour qu’on l’ouvre bientôt et qu’il soit tout bleu parce que le rouge c’est bateau et pas le bleu qui sent bon, en plus, le bleu, ce qui, au Strasboule, nous importe autant que la musique d’ambiance et la permission de fumer à l’intérieur qui a été acceptée (phénomène fou à Strasbourg) pour le 12, rue du Faubourg de Saverne, en face de l’arrêt Faubourg de Saverne du tram C à 67000 Strasbourg, bienvenue. Voilà ce que je répondrais à supposer que.

Laurence Magnée

De Bruxelles à Vaulx Milieu

Il avait envie de s’évader de Bruxelles.
En sortant de la chocolaterie, Charlie se dirigea résolument vers la Porte de Blaxelles, où il comptait prendre le métro, direction « Gare du Milieu ».
L’escalier mécanique étant arrêté, en ce jour féri, il descendit posément, une à une, les marches jusqu’au quai, où un panneau lumineux indiquait le nom du prochain arrêt sur la ligne : « Val des Baux ».
Une rame se présenta, avec sur son fronton, le nom « AXEL » : Charlie entra dans la voiture de queue.
Le métro démarra mais, il avait à peine pénétré dans le tunnel que l’éclairage de la rame s’éteignit et le métro stoppa brutalement : noir total !
Puis, avec l’éclairage de secours, la rame redémarra et avança lentement (une éternité) : cela laissait le temps à Charlie d’engloutir nerveusement la moitié de son paquet de bonbons au chocolat noir.
Dans la pénombre, il lui sembla que la couleur des sièges et celle des parois de la rame avaient changé
Cela se confirma, lorsque le métro entra, avec lenteur, dans la lumière crue de la station suivante.
Tout était changé ! Les sièges n’étaient plus jaunes mais bleus : ils n’étaient plus en moleskine mais en tissu.
Et Willy se trouvait maintenant dans la voiture du milieu de la rame !
Sur les murs de la station, il pouvait lire le nom « Vaulx du Mal », alors qu’il croyait être à « Val des Baux » !

Un peu perdu et un tantinet inquiet, Willy descendit sur le quai. IL ôta le heaume de son scaphandre pour mieux respirer (il ne savait plus du tout à quel moment il avait revêtu cet accoutrement…)
D’un pas lourd, il se dirigea vers le bout du quai et lorsqu’il parvint, au niveau de l’entrée du tunnel suivant, la rame du métro avait déjà disparu dans l’obscurité.
Willy emprunta l’escalier roulant où une flèche indiquait « Sortie Place de la gare ».
Aux deux tiers de son parcours, l’escalier se poursuivait par un chemin empierré à forte pente, que Willy avait du mal à gravir avec ses bottes lestées de plomb.
Il poursuivit son cheminement vers la sortie.

Parvenu dans le hall de la station, Billy vit au-dessus du guichet de verre, un caisson lumineux avec la mention :
« Gare du Milieu – Station Vaulx du Mal » et juste au-dessous, gravé sur la vitre : « VAULX MILIEU »

Billy, toujours sur ses gardes, sortit de la gare et déboucha sur la placette qu’il n’eut qu’à traverser pour entrer au Café de la Gare : il avait besoin d’un remontant.

Tout en réajustant son ceinturon sur ses hanches et l’étui de son révolver sur sa jambe, il s’avança vers le comptoir : ses éperons claquaient sur le sol du bar.

« Un rye ! », lança-t-il au patron, qui rangeait des verres au bout du comptoir.


Wana

Il faut éliminer le lego prononce de sa voix rouge le lama laineux dans un abattoir de moutons situé à Bruxelles, rue de l’abattoir justement. Il indique de son sabot une direction qui pourrait vaguement être l’Est. Tope là, se disent moutonnes et moutons en s’échappant de l’abattoir la nuit tombée et cavalant comme des bœufs dans des passages pavés. Ils se dirigent d’un troupeau d’un seul vers le village de Bruxlesc, charmante bourgade en lisière de Tchéquie où ils font remplir l’abreuvoir d’aquavit qu’ils boivent avec des roseaux en guise de pailles, ils se ruminent l’alcool, se régalent. Une lune acier pointe son nez dans l’aube de Brulesch quand les doigts de rose de la susdite les font émerger d’un sommeil plombé. Le troupeau sur la route, again, the road poussiéreuse qui passe par Brulshcho, autre charmante bourgade turque où l’on compte les Arméniens sur le moignon d’une main. Soulés d’herbes fraiches dopées aux edelweiss de prairie, moutonnes et moutons décident d’un commun accord du bélier – c’est la bête à cornes qui trace en éclaireur qui fait boussole dans cette histoire, ils bifurquent légèrement par le Sud vers Brushchom, bourgade pakistanaise extrêmement paisible depuis que Ben Laden avait été effacé du coin. Quand voilà que déjà apparaît le ville frontière de Bruhcoml, ce qui n’est pas si loin de Buhcomlu, charmante bourgade en contrefort des raideurs immaculées de l’Himalaya, le troupeau passe la nuit dans un temple où le dialogue des karmalites bat son plein depuis plusieurs kalpas et où ils eurent quelques difficultés à faire remplir l’abreuvoir de bière d’orge fermentée parfumée au beurre de yack rance. À cet endroit, précisément, à la grande surprise du troupeau, une émissaire du lama les avait précédés pour leur tondre la laine sur le ventre et rappeler la sphinxerie du maitre tibétain, sphinxerie qu’avec leurs cervelles de moineau à quatre pattes ils avaient oublié. L’émissaire répète de sa voix de stentor : -Il faut éliminer le lego. Ils miaulèrent d’un seul mugissement, car ce troupeau, précisons-le, ami-e lectrice ou lecteur, ne bêlait pas. Ils sortaient de leurs gosiers d’herbivores des sonorités étranges, rappelant les cloches d’alpages mixées aux cornemuses à gaz et à plusieurs tuyaux. Bumoclun se traversa d’une traite de sabot, c’était évidemment une charmante bourgade, ce qui commençait à les brouter sévère, quand enfin essoufflés ils débouchent à 3751 mètres au canyon de Chumlong dont on leur avait tant vanté les vents à décorner les yacks, et s’ils avaient des cornes de boucs, elles se seraient irrémédiablement envolées jusqu’au Pacifique. Enfin, ils découvrent une immense pyramide noire et verticale Chomolunga, et ils sont très déçus de ne pas y trouver le parc à Légo promis par le lama.

Camille Philibert


Chocolat viennois
et maitrise de soi

Je revenais d’un court séjour à Durbuy (la plus petite ville du monde) où Alain m’avait initiée à la dégustation-consommation de chocolats chauds.
Le lendemain, atelier d’écriture à DurbYork-Babel-le, où j’ai commandé un chocolat viennois, histoire d’encore un peu arrondir mon poids d’orque, sur le cadran de ma petite balance.
Mais soudain, cette expérience se révèle plus riche que prévu : tous mes doutes me lâchent et je me retrouve dans la célèbre grande machine à explorer le temps de la bibliothèque d’York. Je me surprends à écrire mes mémoires en sirotant un délicieux lait macchiatto.
Demain surement, les réformateurs (de la langue) ajouteront des « New » partout et nous nous retrouverons, Alain et moi, à New York, en train de compulser des liseuses, e-books, et autres livres électroniques en buvant de l’eau. Pétillante, surement !

Céline Hologne

Bruxelles (nouvelle Brüsel).
Dr Kronop, magnétiseur. La plaque de cuivre qu’on avait négligé de frotter au miror depuis trop longtemps ne se laissait pas aisément déchiffrer à l’entrée du passage Nord, côté rue Neuve. Un air de XIXème.
Le docteur, originaire de Ruxelles, ou né rue Xelles à Ixelles – son passé était mal connu et l’homme n’avait pas d’intimes qui pussent donner quelques renseignements sûrs sur son parcours – était reconnu pour soulager les troubles de la personnalité.
Il avait assis sa réputation à l’orée des années 50, on venait à la capitale le consulter depuis les coins les plus reculés de la Belgique : Ielles, Rielles et même Arielles, - cités obscures qui figuraient à peine ou pas même sur les cartes officielles du pays.
La dernière fois qu’un quidam l’aperçut, ce fut porte de Hal, lieu passager, s’il en fut.
Certains prétendirent l’avoir croisé successivement à Avrilles et Ariles. Un de ses patients qui souffrait de schizophrénie affirma même l’avoir rencontré à Aries, à la frontière franco-belge… Mais dans quelle vie ?…
On évoqua la bourgade d’Aris (ou de Pâhris ?), dans les Ardennes, un pays où l’on n’arrive jamais.
On perdit bientôt sa trace.
Un certain Schuitten l’aurait identifié sans certitude sur un cliché pris sur un des quais de la station Arts et Métiers d’un métro capital. L’inspecteur Peeters l’avait photographié penché sur un des hublots cerclés de cuivre comme à la recherche d’un objet – clefs ? passeport ? titre de transport ? – tandis qu’il marmonnait : « Je est un autre. ».
L’enquête, faute d’éléments suffisants, fut classée sans suite. Un homme en fuite finit par lasser…
Depuis, quelqu’un a peut-être repéré le facteur Cronope. L’homme, répondant vaguement à un signalement donné par des journaux déjà anciens, se tenait penché sur un miroir du Procope, à Paris. Pas de reflet dans la glace d’Aragon. Le témoin choisit de n’en rien dire, il venait de recevoir le prix Nobel de littérature.

Sources : François Schuitten et Benoît Peeters, Les Cités obscures.

Valérie Lotti


Nouvelle toponymique

- Marcher dans Naples, c'est sacrément harassant, ça se sent dans les jambes, halte, j'arrête, râla la Jeanne, en jetant à terre le sac de vacances, bras ballants, échevelée, pantelante. Parlez de balade, escalader les pentes escarpées, errer dans des venelles sans clarté, se perdre dans ce dédale sans même pénétrer dans l'antre de Caravage, carrément fermé, c'est râlant, marre.
Et le grand Fred - avec sa grande carcasse de flemmard et ses grandes pattes, ça ne le dérange pas, d'arpenter les pavés de lave - la regarda avec flegme, et demanda :

- Tu veux aller à la mer, prendre le bateau, manger des glaces à Nauples, près du temple de Vénus, là-bas c'est très beau, ça date du temps des grecs, tu verras, la lune se levant sur Nauples, c'est un spectacle sans égal. Faut aller prendre la Cumana à la gare du centre.
- Tu m'embêtes avec la mer, je préfère prendre la Phlegrea et aller à Naules, près du Vésuve et des champs de lave, ça, c'est des parages enchanteurs.


Bon bon, dit Fred, toujours aussi flegmatique, comme tu voudras. Et ils allèrent à Naules. C'était dans la montagne, la visibilité n'était pas excellente, bref, ils se perdirent. Errant dans la nuit sur des routes en lacets sans aucune indication.
Mais c'est pas possible, mais c'est pas possible, gémissait la Jeanne en se tordant les mains, on va pas rouler comme ça toute la nuit, sans savoir où on va, ni même où on est.
Bah, on finira bien par arriver quelque part, lâcha Fred, fataliste.
Et c'est en effet ce qui se passa. Au petit matin, ils arrivèrent à Nauxes. Ah oui, et ou c'est donc, ça Nauxes ? Un bled paumé dans la montagne, pas même un bistrot ou un endroit pour se restaurer.
En tout cas il fait plus frais ici, dit Fred, ça devrait te plaire, toi qui te plaignais tout le temps de la chaleur.
Mais la Jeanne, quand elle ne se plaint pas de la chaleur, c'est qu'elle se plaint d'autre chose.
Mais on est beaucoup trop au nord ici, et puis y a pas un rat dans ce bled, comment on va faire ? Ils finirent par dénicher un autochtone, genre vieux berger typique, qui leur indiqua vaguement une direction, et reprirent leur route hasardeuse.
Puisqu'on est partis vers le nord, allons résolument vers le nord, décida Fred. On n'a qu'à aller voir mon oncle Fernand à Nauxelles, il nous accueillera bien, on sera comme des coqs en pâte. Nauxelles, dans l'Aveyron, mais ça va pas, tu parles d'un voyage, je prends pas mes vacances pour aller voir ta famille dans l'Aveyron.
L'oncle Fernand, d'humeur joviale, les accueillit à bras ouverts. On était en pleine saison des champignons, et il y avait des bolets à foison. Le problème, c'est que les bolets ne sont pas tous bons, et c'est ainsi qu'ils se retrouvèrent tous, la Jeanne, le Fred et le tonton, à l'hôpital de Nuxelles, qui était le plus proche. L'hôpital de Nuxelles, il faut le dire, n'a pas une réputation irréprochable, et ils y laissèrent donc la santé et la vie. Tués nets, muets à jamais. Comme ils étaient belges, sauf l'oncle Fernand, leurs corps furent rapatriés. Ils sont enterrés au cimetière de Ruxelles, quelque part dans la banlieue de Bruxelles.

Irène Ruszniewski


Fatale traversée


I - Naples
- Marcher dans Naples, c'est sacrément harassant, ça casse les pattes, halte, j'arrête, râla la Jeanne, en jetant à terre le sac de vacances et le reste des bagages, bras ballants, échevelée, pantelante. Parlez de balade, escalader les pentes escarpées, errer dans des venelles sans clarté, s'écarter des vespas pétaradantes, se perdre dans ce dédale sans même aller regarder les Caravage, car c'est fermé, gardes en grève, c'est gavant, marre de ce plan de merde.
Le grand Fred, avec sa grande carcasse de flemmard et ses grandes jambes, ça ne le dérange pas, d'arpenter les pavés de lave. La Jeanne, ce calme, ça l'énerve franchement, c'est dans son tempérament.
Se halèrent pesamment avec armes et bagages vers la terrasse de « La Speranza ». Le bar « La Speranza », L'Espérance, à Naples, vers Sant'Agata, c'est pas la classe. Devant la taverne, des mastars se castagnent en cadence, avec des barres de fer et des tas de pavés, gare à la casse.
Se casèrent à l'écart de la bagarre. Fred regarda avec flegme sa femme exaspérée, et demanda :

II - de Nauples à Nauxelles
- Tu veux aller à la mer, manger des glaces à Nauples, près du temple de Vénus, ? C'est fameux. Et Nauples, c'est très beau, ça date du temps des grecs. Tu verras, la lune se levant sur la rade de Nauples est un spectacle sans égal. Faut aller prendre la Cumana à la gare du centre jusqu'à Cumes et traverser en bateau après, un régal.
- Tu m'embêtes avec la mer, je préfère prendre la Phlegrea et aller à Naules, près du Vésuve et des champs phlégréens, ça, c'est une place à la hauteur, avec des eaux chaudes en vasques naturelles, ça te rend la santé, c'est fabuleux, un rêve.
Elle est fada, pense Fred en a parte, elle exècre la chaleur et elle veut se taper les cratères ! Bah, ça la regarde… Fred est un mec arrangeant.
- D'ac, renâcle quand même un peu Fred, avec un beau détachement, c'est tes vacances, ça sera ce que tu préfères. Dans le car à camper, en avant, la phlegrea ne va plus par là, d'après la carte.

Et allèrent à Naules. En passant, c'est quelque part dans les Abruzzes, que je sache, pas près du Vésuve. Pas le trajet de la Phlegrea en effet. Dur à détecter, la vue dans ces parages n'est pas très dégagée, bref, s'égarèrent. Brusquement, du crépuscule brumeux émergea en face la haute masse d'un car.
- À gauche, va à gauche, hurla Jeanne glacée de terreur, t'as manqué de me tuer, quel emmanché ! Persévérèrent à errer lentement dans les ténèbres, sur des chaussées taraudées de crevasses, de lacet en lacet, sans aucune pancarte.
- C'est nul, c'est nul, c'est pas acceptable, pleura la Jeanne en s'arrachant les cheveux, je ne veux pas passer des heures à tanguer dans ce bus, sans but, sans même un aperçu de l'emplacement, là, c'est pas sur la carte.
- Bah, ça va sûrement mener quelque part, lâcha Fred, fatal.
Et en effet. Après quelques heures à déambuler au hasard, débarquèrent, pas à Naules, à Nauxes. Ah, et ça perche quelque part, Nauxes ? Un bled paumé dans le désert, pas même un café, une devanture de bazar avec quelques trucs à becter.
- C'est de la chance, c'est nettement plus aéré par là, lâcha Fred avec allant, assurément ça va t'agréer, admets-le, tu détestes tant la chaleur. Cesse un peu de te lamenter. Et mets un pull, tu vas attraper un rhume.
Cependant la Jeanne, quand elle ne se lamente pas à cause de la chaleur, c'est qu'elle se lamente à cause d'autres trucs.
- C'est pas seulement ça, c'est que ce n'est plus assez au sud, tu avances à l'envers exprès, et pas un rat dans ce bled, ça va pas s'arranger, tu fabules, qu'est-ce que tu peux effectuer de plus, dans le genre gaffe absurde ?
Quand elle parle avec rage, elle met ses phrases en vrac.
- Tu veux une baffe ? Tu me gaves avec le sud ! Même le grand Fred peut s'énerver.
Après quelques recherches, repérèrent un naturel, une créature du cru genre rude berger marqué par les ans, lequel leur ébaucha vaguement un trajet éventuel. Regagnèrent le bus et rentamèrent leur avance hasardeuse.

- Vu que le sud, c'est râpé, faut aller franchement autre part, trancha Fred. Je t'emmène chez pépé Fernand à Nauxelles, ça sera épatant, tu verras, le pépé va te gâter, te gaver de pâté. Ça va être très amusant.
- Nauxels, dans le Cantal, ça va pas, tu parles d'une aventure, je prends pas mes vacances dans le but d'aller éplucher des patates chez un pépé dans le Cantal.
- Pas Nauxels dans le Cantal, eh, banane, Nauxelles, deux L-E-S, dans l'Ardèche, nettement plus fun, tu ne penses pas ?
Le pépé Fernand, brave gars ventru d'heureuse nature et d'humeur allègre, les hébergea et les fêta dans les grandes largeurs. Un été chaud, quelques averses, ça génère affluence de cèpes et de chanterelles, presque avec excès. Le tracas, c'est que les cèpes, ce n'est pas sans danger, avalèrent par erreur un cèpe purulent, espèce rare et très vénéneuse. Et plus mûr est le cèpe, plus dure sera la chute. En restèrent sur le carreau et durent être transférés d'urgence en ambulance, la Jeanne, le Fred et le pépé, au…

III - de Nuxelles à Bruxelles
Centre de cure de Nuxelles, c'est le plus près du secteur. Le centre de cure de Nuxelles est réputé peu sûr. Nullement luxueux, un pullulement de germes, et même des puces sur les murs, je te jure, rudement dégueu, ce truc, j'en reste sur le cul. C'est ce que prétendent les rumeurs.
Le pépé, en sueur, exsude du verjus, expulse du pus. Le grand Fred, vert de peur, se sent plus que brumeux. Elle, ses lèvres pulpeuses devenues bleu de Prusse, semble perdue.
Durent dégueuler sévèrement, entubés sur un tube de verre, récurés jusqu'en luette. Vécurent en preux cette épreuve, éructèrent des flux de jus brun, guère fructueusement : leurs ulcères crevèrent, leurs pustules se percèrent, et nul remède ne put les épurer des humeurs délétères. Décédèrent en quelques heures. Un éternuement et Urgh ! Plus de jus. Tués nets, éternellement muets. Nul futur, futur nul.
Quel revers funeste ! Quel échec cruel !

Le pépé fut enterré presque secrètement.
Les deux jeunes décédés, nés sujets belges, furent prestement emmenés en bus vers Uxelles, leur bled, très près de Bruges, leurs restes scellés en une cuve de grès. Le bus d'enterrement dut endurer une tempête ubuesque, des vents hurleurs. Des nuées cendreuses pleut un déluge sulfureux, du creux des fleuves embus se déverse une crue grumeleuse sur l'étendue détrempée. Des dunes fume une brume perlée d'écume. Les freux zèbrent les nues, leurs ululements lugubres, dénués de pudeur, semblent célébrer ces peu justes décès. Persécutés jusque vers le sépulcre. Le bus n'en peut plus, trébuche, s'évertue, les pneus luttent éperdument sur le revêtement défectueux… Uxelles, Uxelles est en vue.

Uxelles, septembre. Ernest, le frère de Fred, revenu exprès de Prusse, en fureur, décrète que c'est un meurtre et veut une enquête. Les restes, enterrés près de leurs père et mère, furent exhumés des terres meubles du tumulus d'Uxelles et dépêchés vers le Ruxelles Center, célèbre centre de recherche et d'étude des structures secrètes des cellules et des germes. Un scrupuleux check-up fut effectué. Seulement ce fut superflu, le cèpe purulent, Cepus putrescens, fut décrété seul pécheur en cette querelle.
Le Centre refuse usuellement de rendre les squelettes. Ce fut dur de les récupérer. Le frère, plus têtu qu'une mule, dut tempêter, héler les télés, se mettre en grève sur le muret d'entrée de Ruxelles, créer une émeute. Rudement récusé, le Centre dut céder.
Et les humbles défunts purent rentrer chez eux. Leurs restes furent brûlés, leurs cendres en des urnes eurent leur funèbre sépulture en leur demeure, sur le buffet, 2 rue Jules Lejeune, Uccle, Bruxelles. Une messe fut célébrée en le temple de Ste Gudule. Deux bustes furent sculptés, une stèle fut dressée sur un tertre herbu, drève du Duc, vers le sud-est de Bruxelles. Sur cette stèle peut être lu : « Vécurent peu, furent extrêmement regrettés, fureteur généreux, versez un pleur sur eux. »

N'empêche, sûr qu'eussent détesté cèpes et truffes, eussent pu écluser plus d'une Gueuze Bellevue, le must de Bruxelles.

Irène Ruszniewski


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